En direct d'Haïti

L’autorité de l’État haïtien est ébranlée (mai 2012)


Depuis plusieurs jours, le peuple haïtien demeure perplexe quant à la direction réelle du pays. La démission du premier ministre Gary Conille, au cours de la deuxième moitié du mois de février dernier, a créé un vide certain dans l’appareil administratif du pays. M. Conille, même avant son statut flottant actuel, n’avait aucune prise sur ses ministres, dont il est  légalement la première autorité hiérarchique.  Il lui était impossible dès les premiers jours de la déclaration de sa politique générale, devant les deux Chambres, de réunir un conseil de gouvernement.

 

Aucun des ministres ne répondait à son invitation et ne croyait en son pouvoir réel. Ces ministres ne se soumettent qu’à la seule autorité du président Martelly. Mais ne voilà-t-il pas que le président Martelly est tombé malade.  Il a dû, depuis près d’une quinzaine de jours, partir en urgence à Miami pour se faire soigner d’une embolie pulmonaire. Il est vrai qu’un grand doute plane sur la nature de la maladie que ses proches ont déclarée au grand public. M. Conille a tenté une fois encore pendant l’absence du président de la République, M. Martelly  pour cause de maladie, de relancer son pouvoir. Il a essuyé le même refus de collaboration.

 

Ce voyage du  président, cette fois à but curatif, ne fait que renforcer la tendance de certaines fractions sociales du pays à se faire soigner aux États-Unis d’ Amérique, notamment à Miami. Cette tendance ne participe-t-elle pas au renforcement de notre perte de souveraineté nationale ? L’État dirigé par le gouvernement de Martelly devrait améliorer notre système de santé et d’hygiène publiques pour que celles et ceux qui ne peuvent pas s’offrir ce luxe bénéficient de toutes les infrastructures nécessaires pour se faire soigner chez eux.

 

Bref, nous nous demandons qui détient le gouvernail de la nation avec un président alité à l’extérieur du pays et un premier ministre qui se trouve dans l’impossibilité de fait, d’exercer ses prérogatives constitutionnelles. Le pays est amputé de ses principaux dirigeants à cause des conflits personnels qui les divisent, en dépit du fait qu’ils sont liés à la même famille idéologique duvaliériste et qu’ils partagent le même credo néolibéral. Les gens qui aiment nager dans les eaux troubles en sont les premiers bénéficiaires directs.

 

Par exemple, trois policiers ont été tués dans moins de vingt- quatre heures. Le dernier cas, celui du jeune de 27 ans, Walky Calixte, a soulevé la colère de ses consœurs et de ses confrères qui ont paralysé la capitale et toute la région métropolitaine ce lundi 23 avril. Ils ont lancé, en méprisant tous les rappels à l’ordre de leurs chefs hiérarchiques, une grève violente tissée de barricades, de pneus enflammés et accompagnés de jets de pierre.

 

Ce gouvernement devenu acéphale  ne relève pas du hasard, car M. Martelly n’a jamais jeté son dévolu sur M. Conille. Celui-ci a été une imposition directe de la communauté internationale qui voulait imposer son poulain dans l’unique objectif d’avoir un contrôle exclusif des deux branches de l’exécutif. Ce pouvoir frileux est, d’une part, la conséquence de l’immixtion des puissances occidentales dans les affaires publiques du pays et d’autre part,  du comportement de certains de nos  parlementaires au Sénat et à la Chambre des députés. Pour des raisons inavouées, ils ont voté, M. Conille à la tête de la primature, malgré le fait qu’il ne répond pas aux exigences de la loi-mère.

 

Cependant, il faut dire que ce manque d’autorité ne date pas d’aujourd’hui. Il s’est toujours  caractérisé par le piétinement de nos codes de lois, dont l’impunité est la manifestation la plus visible. Nous nous souvenons que l’ancien président Préval avait fait du rétablissement de l’autorité de l’État son cheval de bataille, lors de la première campagne électorale qui l’avait conduit à la première magistrature du pays. Une bataille qu’il a perdue ou qu’il n’a pas vraiment livrée pour des manœuvres politiciennes.

 

C’est ainsi que ces politiciens traditionnels protègent leur arrière- garde. Aujourd’hui, l’absence de l’État n’est pas seulement abstraite, elle est aussi physique. Cette situation a compliqué davantage la vie civile de la population avec des crises polymorphes qui se succèdent les unes aux autres, car l’autorité de l’État est ébranlée.