Un chien de garde pour surveiller les entreprises canadiennes à l’étranger

Ottawa annonce aujourd’hui la création d’un poste d’ombudsman des entreprises canadiennes opérant à l’étranger. Les libéraux en avaient promis la création en campagne électorale en 2015, répondant à une demande de longue date de la société civile.

L’ombudsman couvrira à terme plus large que le seul secteur extractif, le plus souvent ciblé jusqu’à maintenant par les organisations de défense des droits de la personne et de l’environnement. À terme, l’industrie du vêtement pourrait notamment se retrouver sous sa surveillance ainsi que d’autres secteurs économiques.

Ce chien de garde aura également plus de mordant que les mécanismes existants de responsabilité et de médiation de conflits, selon certaines informations préliminaires.

Le ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, en fera l’annonce mercredi à midi en compagnie de John Ruggie, professeur de droit international à l’Université Harvard, et de Hassan Yussuff, président du Congrès du travail du Canada.

Le processus de nomination et l’échéancier prévus restent à être annoncés. Les détails de ses pouvoirs d’enquête seront quant à eux précisés mercredi. L’ombudsman aurait du moins le pouvoir de déclencher lui-même des enquêtes sur des incidents impliquant des compagnies minières à l’étranger, selon le journal The Hill Times. Il pourrait en outre contraindre les entreprises à présenter des preuves ou obliger des personnes à témoigner, selon ce média.

Deux pouvoirs auxquels tenait le Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE), qui regroupe plus d’une trentaine d’organisations. La proposition législative détaillée du RCRCE, soumise en novembre 2016, insistait aussi sur l’indépendance de l’ombudsman du gouvernement fédéral.

 

Une annonce attendue

Il y a déjà plus d’une décennie que la proposition traînait sur la table à dessin, spécifiquement pour l’industrie minière, dans laquelle le Canada joue un rôle majeur à l’échelle internationale. Un projet de loi présenté par le libéral John McKay, alors dans l’opposition, avait été rejeté en 2010 par quatre voix.

Depuis 15 ans, des violences liées aux activités de sociétés minières canadiennes ont fait au moins 44 morts et 400 blessés, avance le rapport La marque Canada de l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, publié l’an dernier. Des événements comme l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui a causé la mort de plus de 1000 personnes en 2013, pourraient aussi être scrutés.

D’abord réticente à appuyer un tel mécanisme, l’Association minière du Canada (AMC) a finalement proposé un mécanisme d’enquête mixte. Dans ce modèle de « joint fact finding », le plaignant et la compagnie visée devraient au préalable s’entendre sur les faits et la manière de les examiner.

« C’est une bonne nouvelle, les droits de la personne sont de la responsabilité de tous », a réagi Pierre Gratton, p.-d.g. de l’AMC. Il avance qu’un groupe consultatif rassemblant toutes les parties serait aussi créé dans la foulée.

Vaut-il mieux tard que jamais ? En entrevue avant l’annonce, Geneviève Paul se gardait de tout enthousiasme hâtif, tout en reconnaissant « le grand pas franchi ».

Directrice par intérim d’Amnistie internationale Canada francophone, elle espère que l’ombudsman pourra faire des recommandations, comme la suspension du soutien commercial sur des marchés étrangers, par exemple.

Dans les trois dernières années, trois cours canadiennes ont accepté d’entendre les poursuites contre Tahoe Resources, Hudbay Minerals et Nevsun Resources. « Avec ces affaires en cours — et les conclusions sévères et sans équivoque de différents comités des Nations unies —, l’attention est tournée vers le gouvernement canadien pour que celui-ci prenne des mesures de prévention, en commençant par la création d’un ombudsman », conclut Mme Paul.

Source : Le Devoir

http://www.ledevoir.com/societe/517755/entreprises-canadiennes-a-l-etranger