Que vaut la démission du premier ministre Garry Conille ? (mars 2012)
Nous étions en train de préparer notre rubrique mensuelle sur le déroulement du carnaval dans la ville des Cayes, la métropole du département du Sud, quand nous avons appris la démission du premier ministre Garry Conille. Nous avons dû changer notre sujet pour nous mettre au diapason de la conjoncture. Les observateurs les moins attentifs s’y attendaient, car tout semblait montrer que le conflit qui n’était plus latent entre les deux principales têtes du pouvoir exécutif a atteint les limites de l’intolérable. La cohérence nécessaire entre ces deux personnalités pour conduire à bon port la barque nationale a crevé. Mais cela n’empêche pas l’effet de surprise au moment où la rupture s’est produite, d’autant plus que M. Conille exprimait une certaine volonté de coudre par ses déclarations un tissu ajouré de toutes parts. Il avait même perdu la capacité de convoquer un conseil de gouvernement. Aucun des ministres n’avait répondu à son dernier appel pourtant constitutionnel. Peut-être, était-ce une formule de courtoisie ou diplomatique.
M. Gary Conille a été imposé au président Joseph Martely par une certaine force internationale, en l’occurrence par le secteur des grandes affaires par l’intermédiaire de l’ancien président Bill Clinton. Malgré le fait que le président de la République et le premier ministre appartiennent à la même famille duvaliériste et obéissent aux mêmes dictats de l’impérialisme américain , cela ne dissout pas la possibilité de certaines divergences beaucoup plus personnelles et subjectives qu’idéologiques entre eux. Beaucoup de rumeurs se répandent sur les raisons de cette démission. Le dossier des contrats à l’allure douteuse que M. Bellerive, l’ancien premier ministre du président Préval, et qui est l’un des principaux conseillers du président Martelly, aurait passés avec des firmes dominicaines, est l’une d’entre ces rumeurs. Sans les ignorer totalement, il faudrait aller au plus profond des choses.
Le gouvernement américain lors du voyage de l’ex-premier ministre Conille à Washington tout au début de cette année, n’a pas caché son mécontentement quant au flirt à caractère même provocateur du président Martelly avec le courant anti-impérialiste américain de certains gouvernements latino-américains, notamment ceux de Cuba et du Venezuela. Au même moment et surtout parallèlement, le chef de l’État participait à une réunion de l’Alternative bolivarienne pour l’Amérique Latine (ALBA) à Caracas. Alors que ladite communauté internationale a hissé M. Martelly en-dehors des normes électorales qu’elle prône elle-même, au faîte du pouvoir, celui-ci tente de se comporter comme un électron libre par rapport à cette bienfaitrice. Il se montre de plus en plus imprévisible dans ses gestes, dans ses paroles comme dans certaines de ses décisions même s’il reste profondément attaché au canon de la droite politique et idéologique. Pourtant pourquoi est-ce M.Conille, le plus fidèle des deux à l`impérialisme américain, qui a dû lâcher prise dans ce scénario qui illustre une fois de plus la perte de notre souveraineté nationale ?
Ici, un facteur subjectif joue un rôle important. M. Conille s’est dévoilé incompétent, perclus pour mater toute velléité de désobéissance du président Martelly envers les règles du jeu des classes dominantes locales et d’ailleurs, même si cette désobéissance serait motivée à des fins strictement personnelles et claniques. Cependant, le courant de Bill Clinton qui jusqu’à présent irrigue en sa faveur les retombées bénéfiques du tremblement de terre du 12 janvier 2010 avec la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (la CIRH) n’a pas perdu la guerre.
Pour pourvoir à la vacuité de la primature, le président Martelly doit consulter celui de la Chambre haute, M. Simon Desras et celui de la Chambre basse, M. Levaillant Louis-Jeune, alors que le torchon brûle déjà entre ces trois personnalités qui sont d`opinion politique, mais il faut préciser non-idéologique, différente. L’animosité s’est révélée au grand jour après l’arrestation illégale du député Bélizaire en novembre dernier et du refus du chef de l’État, M. Martelly, de verser ses documents de voyage à la commission sénatoriale montée pour étudier les dossiers de la nationalité des membres de l’exécutif. Plusieurs députés et sénateurs de la République ont déjà posé des conditions avant de plancher sur le choix par le président Martelly du nouveau premier ministre. Parmi ces conditions, il doit obtempérer à la demande de la commission du Sénat de présenter l’ensemble de ses documents de voyage, dont les passeports. Aucune sérénité ne règne entre les pouvoir législatif et exécutif. M. Conille et son équipe n’ont-ils pas tendu un piège à M. Martelly en l’envoyant s’affronter à l’hostilité des deux chambres législatives malgré la présence de certains sénateurs et députés qui sont très proches au chef de l’État? C’est pourquoi nous nous demandons ce que vaut dans la réalité concrète cette démission qui, de toute manière, prolonge la série des crises en cascades qui entravent la marche régulière du pays.