Lettre de la Concertation pour Haïti (CPH) sur la protection des droits humains
Montréal, le 10 décembre 2014
Haïti : la défense des droits humains menacée
À l’occasion de la Journée internationale des droits humains, célébrée le 10 décembre de chaque année, les membres de la Concertation pour Haïti (CPH) lancent un appel urgent au gouvernement canadien pour lui exprimer leur vive préoccupation concernant la situation des Haïtiennes et des Haïtiens qui oeuvrent à la défense des droits humains.
En octobre 2014, la Plate-forme des organisations haïtiennes de défense des droits humains (POHDH) qui réunit huit organisations, a présenté son évaluation de la situation d’Haïti devant le Comité des droits humains (CDH) des Nations Unies, en soulignant l’impunité, les menaces aux libertés individuelles et la corruption (Voir le mémoire alternatif :
http://www.pohdh.org/article.php3?id_article=337). Tandis que des faits accablants attestent de violations révoltantes des droits humains, les menaces et les persécutions à l’égard des organisations et des personnes qui dénoncent ces faits se font de plus en plus nombreuses et surviennent dans un contexte d’impunité.
Le 10 février 2014, Daniel Dorsinvil, coordonnateur de la POHDH, et sa conjointe, Girldy Larèche, ont été froidement abattus en pleine rue à Port-au-Prince. Ce double meurtre a été interprété par les organisations de droits humains comme un geste d’intimidation visant l’ensemble du mouvement des droits humains dans le pays.
En avril 2014, Pierre Espérance, directeur du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) et secrétaire général de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), a reçu une lettre de menaces accompagnée d’une balle. Les auteurs l’accusent d’établir de faux rapports dans le but de déstabiliser le gouvernement et de porter atteinte à l’honneur des citoyens. Ils font également référence à une attaque subie par M. Espérance en 1999 et l’avertissent qu’ils ne le rateraient pas la prochaine fois. Ces menaces graves font suite aux publications du RNDDH dénonçant les dérives et la régression d’Haïti en matière de lutte contre l’impunité et contre la corruption, et appelant à l’établissement d’un État de droit
Depuis mars 2014, plusieurs membres de la Komisyon Fanm Viktim Pou Viktim (KOFAVIV), une organisation de lutte contre les violences sexuelles, ont reçu des menaces par téléphone et par SMS. Tôt dans la matinée du 28 avril, trois hommes armés ont été vus dans la rampe d’escalier du bâtiment où se trouvent les locaux de l’organisation et des coups de feu ont été entendus. Des plaintes concernant les coups de feu et les SMS de menace ont été déposées auprès de la police, les 2 et 22 mai. Mais rien n’a été fait pour ouvrir des enquêtes sur ces événements et aucune mesure de protection n’a été fournie aux membres de KOFAVIV pris pour cible, malgré leurs demandes répétées.
D’autres personnes qui défendent les droits humains, membres d’organisations partenaires de la CPH, sont régulièrement victimes d’actes d’intimidation dans l’exercice de leurs fonctions sans qu’il y ait ni enquêtes ni identification de responsables.
La CPH considère que ces évènements sont inacceptables. À maintes reprises, elle a interpellé le gouvernement haïtien ainsi que le gouvernement canadien pour que des actions soient entreprises. Jusqu’à présent, ses appels sont restés lettre morte.
En cette Journée des droits humains, la CPH s’adresse de nouveau au gouvernement du Canada pour lui demander d’intervenir face aux graves violations des droits humains en Haïti et de veiller à ce que la protection des personnes menacées soit assurée.
La communauté internationale et les pays qui la composent ont l’obligation de se préoccuper des droits humains en vertu des déclarations et traités protégeant ces droits. Il incombe donc au Canada de contribuer à leur défense et protection aux plans international et régional. Le Canada doit donc réagir plus énergiquement face aux violations généralisées des droits et interpeller le gouvernement haïtien sur ces questions en lui rappelant ses obligations, notamment :
– se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et aux instruments régionaux et internationaux relatifs à ces droits ratifiés par Haïti, dont la Déclaration sur les défenseurs des droits humains;
– veiller à ce que les défenseurs des droits humains puissent mener leurs activités légitimes de défense et de promotion des droits humains sans entraves, harcèlement ou crainte de représailles;
– prendre sans délai des mesures pour fournir une protection adéquate aux personnes menacées et à leurs familles;
– mener une enquête indépendante sur le meurtre de Daniel Dorsinvil et Girldy Larèche, rendre les conclusions publiques et traduire les responsables présumés en justice;
– adopter et mettre en oeuvre un mécanisme de protection pour les personnes qui sont en danger en raison de leurs activités de défense des droits humains, et assumer ses responsabilités en vertu de la Déclaration des Nations unies de 1999 sur les défenseurs des droits de l’homme;
– assurer la poursuite du processus d’enquête devant mener à un procès équitable et impartial des responsables du régime Duvalier qui ont participé, en tant qu’auteurs ou complices, aux crimes perpétrés sous la dictature.
De plus, le Canada devrait fournir un appui aux organisations haïtiennes de défense des droits, actuellement exclues des nouvelles politiques de financement du Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada (MAECD). Sous-financées, elles se retrouvent dans une situation extrêmement précaire et leur survie est menacée.
Les crimes contre ces personnes engagées, jour après jour, pour la défense des droits humains portent également atteinte au droit à la liberté d’expression et contribuent à réprimer toute forme d’opposition politique et de libre expression. Ce sont donc des atteintes aux droits humains des populations dans leur ensemble, en particulier des personnes les plus vulnérables.
Cette Journée des droits humains nous appelle à la vigilance et à l’action. La CPH poursuivra ses actions de solidarité envers les organisations de droits humains d’Haïti et leurs membres menacés. Elle espère que cette fois-ci, son appel au gouvernement canadien sera entendu.
Michèle Asselin et Gerardo Ducos au nom de la Concertation pour Haïti
Les membres de la CPH :
– Alternatives
– Amnistie internationale Canada francophone
– AQOCI
– Carrefour de solidarité internationale – Sherbrooke (CSI – Sherbrooke)
– Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
– Centre justice et foi
– Comité de solidarité / Trois-Rivières (CS/TR)
– Développement et Paix
– Église Unie du Canada
– Équitas
– Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec (FTQ)
– L’Entraide missionnaire
– Solidarité – Union – Coopération (SUCO)
– Terre sans frontières (TSF)
– Les YMCA du Québec – Initiatives internationales