Les élections en Haïti sont-elles définitivement lancées?
L’actuel Conseil électoral provisoire, généralement appelé par son acronyme CEP ou KEP en créole, est le quatrième conseil mis en place pendant le mandat du président Martelly. Ce Conseil se veut le fruit d’immenses discussions et tractations entre le pouvoir exécutif, certains parlementaires et quelques fractions parmi les plus antigouvernementales de l’opposition, auxquelles s’ajoute l’ingérence inacceptable de la communauté internationale dans la vie publique d’un pays souverain. C’est dans cette ambiance pleine de controverses que ce conseil électoral a pu naître.
Les prochaines élections, si elles ont lieu au moment programmé, bénéficieront-elles de la confiance de la grande majorité du peuple haïtien?
De grands doutes obscurcissent l’avenir du CEP et les joutes qu’il aura à arbitrer. En dépit de la présence en son sein de certaines personnalités jouissant d’une grande crédibilité, le poids négatif de son président, M. Louis Opont, pèse lourd sur son autonomie. M. Opont est l’ancien directeur général du CEP de 2010 qui a facilité de manière perverse l’accession de M. Matelly et de beaucoup d’autres élus au pouvoir. Les puissances occidentales continuent aussi à s’immiscer dans le processus électoral et s’apprêtent à délier leur bourse selon leurs propres intérêts. Les prochaines élections si elles ont lieu au moment programmé, bénéficieront-elles de la confiance de la grande majorité du peuple haïtien?
Cette inquiétude partagée par divers courants de l’opinion publique nationale n’a pas empêché l’inscription, malgré un calendrier étouffant, de plus de 2029 candidats — dont 262 au sénat 1767 à la députation — pour constituer une Chambre de 119 députés et rendre fonctionnel avec l’arrivée de 20 sénateurs, le grand corps qui ne compte depuis le début de cette année qu’un tiers de ses membres. Les législatives sont fixées au 9 août; les présidentielles, les collectivités territoriales et le deuxième tour des législatives au 26 octobre; le deuxième tour des présidentielles, au cas où cela serait nécessaire, au 27 décembre de cette année. Pour proposer leur candidature, les candidats doivent s’inscrire en ligne avant de se présenter physiquement au bureau électoral départemental selon le poste visé, muni de 14 pièces administratives, après avoir versé au bureau des Contributions, une somme allant de 500 000 gourdes pour briguer la présidence, 100 000 gourdes pour le sénat ou 50 000 pour la députation. Les exigences sont les mêmes pour les collectivités territoriales, avec cependant des frais d’inscription moins élevés.
Deux grandes leçons à tirer de ces élections
Il saute aux yeux que le CEP, dans le cadre du système conservateur en vigueur, est en train de préparer des élections qui entraineront l’exclusion de nombreuses personnes, même si cette fois on ne peut le critiquer d’avoir mis hors course des partis politiques qui sont légalement reconnus, comme ce fut le cas en 2010 avec le rejet du parti Fanmy Lavalas. Il s’agit d’exclusion parce que les pièces administratives et la somme d’argent demandées ne sont pas à la portée de n’importe qui. Les militantes et militants de la base, notamment celles et ceux qui vivent en milieu rural où l’internet et l’électricité ne sont pas accessibles, sont dans l’embarras le plus complet pour présenter leur candidature. Ces procédures électorales les acculent à se prostituer sous la bannière d’un parti traditionnel ou à vendre leur conscience à un trafiquant de drogues ou à un contrebandier en quête d’autorités protectrices.
En guise de conclusion
Doit-on se fier aux rumeurs qui courent concernant l’annulation des élections et la formation d’un gouvernement de transition qui préparerait d’autres élections d’ici trois ans? Entre-temps, tout montre que les élections si elles se réalisent cette année n’augurent rien de nouveau. La loi électorale et toute la machine mise en place pour son exécution sont à l’avantage du statu quo. Sur plus de 120 partis politiques inscrits au CEP, peu d’entre eux ont publié un programme politique qui encouragerait les gens à voter davantage d’après un choix politique conscient au lieu d’accorder leur voix à des individus. La majorité populaire a très peu d’influence sur ce modèle de démocratie qu’on souhaiterait se substituer à la dictature duvaliériste. Le mimétisme de la voie bourgeoise occidentale est en train de conduire le pays vers une ploutocratie sous la garantie de l’argent sale. Seule l’union des forces progressistes peut arrêter une telle dérive.
Marc-Arthur Fils-Aimé
27 avril 2015