En direct d'Haïti

Le retour du duvaliérisme se confirme (janvier 2012)

 

Chaque mois, Marc‐Arthur Fils‐Aimé, directeur général de l’Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL) et partenaire de longue date du CISO, commente pour nous l’actualité de son pays.


Le retour du duvaliérisme se confirme de jour en jour sur le terrain national et ce n’est pas du seul fait de la présence de l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier dans le pays. Tant au niveau politique qu’au niveau idéologique, cette présence s’affirme.  Bien des gens commencent à  comprendre l’essence des discours de campagne du président  quand il dénonçait les vingt-cinq années de ses prédécesseurs au timon des affaires publiques. Il leur reprochait clairement la période qui avait mis hors de la scène publique le courant idéologique auquel il appartenait.

 

En effet, la politique du président Martely et la composition de l’autre branche de l’exécutif   constituent une preuve flagrante de la reconstitution déclarée du règne fasciste.  Le retour des Forces Armées d’Haïti et la façon dont le chef de l’État cherche à domestiquer la Chambre des députés et le Sénat participent de ce plan. Le président Martely aura-t-il les moyens de sa politique malgré qu’on dénombre des macoutes notoires dans toutes les branches du pouvoir?  Nous en doutons.

 

D’une part, nous ne vivons plus la période de la guerre froide où les puissances capitaliste occidentales alimentaient en armes, en argent, en conseillers et autres les dictatures les plus sanglantes comme celles de Somoza au Nicaragua, de Trujillo en République dominicaine et notamment des Duvalier en Haïti. D’autre part, la conscience des masses populaires a largement évolué vers les changements véritables. Entretemps, le pouvoir répète les pratiques duvaliéristes du passé en pensant à des attitudes somnifères. Il entend gaspiller le trésor public en des cadeaux en vrac à diverses couches sociales, sans plan de distribution, et octroyer à chaque mairie suivant leur importance administrative de 200 000 gourdes (5000 dollars américains) à plus de deux millions de gourdes (50 000 dollars américains). La somme totale de ces frivoles dépenses  a atteint entre 10 et 11 millions de dollars américains. Que de biens durables au profit de la population un tel montant pourrait garantir !

 

Entre temps, le duvaliérisme cherche à revivre comme phénix  une deuxième vie. Jean-Claude Duvalier se positionne de mieux en mieux sur le terrain. Outre ses visites civiles dans bien des coins du pays, il a marqué très fort le vendredi 16 décembre dernier sa réhabilitation politique, celle au niveau juridique est presque assurée. Le système judiciaire sème la confusion dans ce dossier en se tapissant  dans ses labyrinthes procéduraux.   Jean-Claude Duvalier a parrainé la dernière promotion de la faculté de droit de la ville des Gonaïves, cette ville qui a ébranlé les premières grandes manifestations anti-duvaliéristes qui ont culminé avec le départ physique de Baby Doc le 7 février 1986. La mort de trois jeunes écoliers causée par les balles assassines des forces répressives de ce pouvoir macabre avait intensifié les mobilisations à travers le territoire national. Le choix de Jean-Claude Duvalier dans un centre universitaire où il a eu le toupet de demander une minute de recueillement au nom de ces jeunes, mérite de grandes réflexions dans le camp démocratique et progressiste.

 

D’aucuns veulent nous faire accroire que le peuple haïtien souffre d’une amnésie chronique au moins dans le domaine politique. Les jeunes que nous  côtoyons ne connaissent pas leur histoire, les grands-parents sont décédés probablement  et la mémoire orale a été interrompue, ce qui n’est pas le cas des personnes plus instruites ou plus âgées qui ont connu la dictature.
Il y a aussi une confusion alimentée par la classe politique traditionnelle haïtienne qui ne s’est jamais démarquée des pratiques duvaliéristes. Elle dispose suffisamment de moyens pour maintenir cette situation toutes les fois que leurs intérêts mesquins sont conservés. Nous devons continuer la lutte pour qu’Haïti ne connaisse plus de ces moments.