En direct d'Haïti

Le doute persiste quant à l’avenir proche d’Haïti


La première échéance en vue de la tenue des élections pour les collectivités territoriales et les deux tiers du Sénat sera bientôt périmée. Le président de la République, M. Michel Martelly, a, à cet effet, appelé à des élections pour le 26 octobre prochain, cela fait cinq ou six mois déjà. Chaque obstacle en chasse un autre et contrarie l’organisation de ces élections. Elles devaient avoir lieu il y a plus de trois ans et on ne sait toujours pas quand elles seront fixées.


Une première date butoir relative à l’avenir immédiat du pays le 12 janvier prochain, jour qui rappellera le cinquième anniversaire du terrible tremblement de terre qui a ravagé certains coins du pays, marquera la boucle des mandats constitutionnels de la chambre des députés et du tiers du Sénat. Le Parlement disposera seulement de 10 sénateurs sur 30 pour répondre à leurs devoirs consacrés par la Charte fondamentale.


Où en sommes-nous?


Les perspectives ne sont pas claires. Comment le président va-t-il exercer légalement ses fonctions régaliennes alors que la Constitution lui interdit de gouverner par décret?


Deux camps sont déjà prêts à s’affronter. L’un, proche du pouvoir, pense que le président peut légitimement continuer son mandat jusqu’à la date limite de février 2016 (des élections présidentielles sont théoriquement prévues au cours du dernier trimestre de 2015). L’autre camp, celui de l’opposition, suppute le départ des deux chefs de l’Exécutif, M. Martelly (président de la République) et M. Lamothe (premier ministre) et souhaite leur remplacement par un gouvernement provisoire qui aura pour tâche d’organiser de manière prétendument propre des élections générales au cours du dernier trimestre de l’année 2015.


Le jeu du chat et de la souris


D’aucuns se demandent la raison de cette course à la montre déclenchée tous azimuts. En ce moment, le gouvernement haïtien et ses amis de ladite communauté internationale réalisent, dans des conditions très peu orthodoxes, des élections broyées en de multiples occasions. Pourquoi la communauté internationale n’a-t-elle pas conseillé aux principaux dirigeants de la barque nationale de respecter les moments constitutionnels? Il ne fait point de doute que cette impasse voulue et étudiée résulte de leur calcul erroné. C’est un jeu du chat et de la souris qui nous a conduits là.


Tout laisse croire que d’un côté, la communauté dite internationale, de concert avec le président de la République, tend à décroître le nombre d’élections prévu dans la Constitution, et ce, presque à un rythme annuel. Rappelons que l’ambassadrice des États-Unis, Mme Pamela White, a sans ambages déclaré à la Voix de l’Amérique, une station de radio officielle du gouvernement américain, qu’il ne devait pas y avoir d’élections en 2013. « Nous en prévoyons trop, il nous en faut moins. », a-t-elle affirmé. Elle avait même annoncé un nouvel amendement de la Constitution pour légaliser la réduction du rythme des élections. Mais, elle ne pensait pas, dans son calcul, se colleter à la résistance de six sénateurs de l’opposition qui ont exigé un jeu politique plus équilibré. C’est dans cette logique que le président Martelly a peut-être boudé les deux premiers termes électoraux de 2011 et 2012.


Est-ce seulement dans un souci d’économie d’argent que certains secteurs politiques, locaux et internationaux comptent diminuer le nombre d’élections dans le pays? Il est vrai que de la façon dont les élections sont organisées, les coûts s’élèvent au-dessus de nos moyens réels. De plus, depuis le retour de l’ex-président Aristide en octobre 1994, sous les bottes des Yankees, elles sont majoritairement financées par l’étranger.


Cette intrusion dans les affaires publiques haïtiennes comprend des mobiles plus profonds qu’un simple calcul pécuniaire. Les puissances d’outre-mer ont besoin de gouvernements dociles pour piller le sol et le sous-sol national. Bien d’autres pays, à travers le monde, protestent aujourd’hui contre les multinationales qui les appauvrissent et qui détruisent tout leur tissu environnemental. Le rejet des politiques de ces multinationales est observé jusque dans leur pays d’origine (Canada, États-Unis, France et bien d’autres encore). En effet, ces politiques s’immiscent avec de plus en plus d’arrogance dans les affaires des autres pays et réclament d’eux un appareil politique myope capable de leur offrir une garantie dans l’exécution de leurs méfaits.


De l’autre côté, les principaux partis de l’opposition traditionnelle ne font pas confiance à l’équipe Martelly/Lamothe. L’approche de la fin du mandat du chef de l’État leur sert d’alibi pour le pousser vers des élections générales et dans le meilleur des cas, sous l’égide d’un gouvernement provisoire. Ces partis, ont-ils tiré les leçons du gouvernement transitoire de 2004 dirigé par le binôme Alexandre/Latortue qui n’a été qu’un exécutant de l’internationale au départ de l’ex-président Aristide?


La Mission des Nations-Unies pour la stabilisation d’Haïti, la MINUSTAH, force d’occupation des États-Unis d’Amérique sous un parapluie international qui est en Haïti pour mater les mobilisations populaires et nommer ses présidents comme ce fut le cas lors de l’élection de René Préval et de Michel Martelly qui furent hissés entre 2005 et 2010 au Palais national. Si ce dernier, lors de sa campagne électorale, avait conspué cette présence militaire étrangère, aujourd’hui, il en fait son bouclier et exige son maintien au moins jusqu’aux prochaines élections présidentielles. Il a annoncé pendant son passage à New York, en vue de la soixante-neuvième Assemblée générale des Nations-Unies, que les militaires occupants seront nécessaires pour contrer les manifestations des opposants, car ils n’accepteront pas la défaite, déjà assurée. La parole d’un président qui a dévoilé aux incrédules le rôle répressif de la MINUSTAH.


Cette opposition n’a jamais offert à la nation un programme alternatif qui sortirait le pays du marasme structurel. Paradoxalement, la pauvreté des masses grandit pendant que de grosses fortunes se créent au bénéfice d’une mince couche sociale d’ici et d’ailleurs.


On comprend bien pourquoi la grande majorité des actrices et des acteurs tendent à confondre les crises structurelles qui ont leur origine dans la formation sociale du pays avec des crises conjoncturelles qui sont, d’une façon générale, le produit de la gestion par l’oligarchie, de ses suppôts et de ses gourous politiques. Ce n’est pas l’effet du hasard qu’ils épinglent les élections en les faisant paraître comme la source de tous les problèmes du pays et la clé de leur solution.


Il s’avère intéressant de découvrir les exécutants conscients et inconscients des dictats supranationaux. Les conscients sont celles et ceux qui obéissent sans aucune hésitation aux dictats impérialistes en abandonnant carrément toutes sortes de résistances à leur portée. Il existe aussi des inconscients qui par un déficit de formation politique croient en la bonne foi des investisseurs internationaux. De toute façon sans dédouaner aucun groupe, ils conduisent objectivement le pays à la même dépendance qui se veut un élément important dans l’appauvrissement continu de cette portion d’Île des Caraïbes.


Le président dispose de tous les atouts pour manœuvrer les élections : un conseil électoral presque totalement soumis, toute la machine étatique y compris le trésor public. Le premier ministre Laurent Lamothe s’est déjà montré ouvertement en pleine campagne électorale en faisant des promesses par-ci par-là et en distribuant de modiques sommes et de la nourriture à des familles en situation précaire.


Pour débloquer le mécanisme électoral, le président Martelly a engagé une troisième formule de rencontres avec quelques acteurs, cette fois-ci sans aucun intermédiaire religieux. Il faut souligner qu’il a choisi le 22 septembre, date de l’arrivée de François Duvalier en 1957, pour entamer sa consultation. Le contour de cette nouvelle ronde n’est pas encore défini. Certains acteurs de l’opposition expriment des doutes sur la volonté réelle du pouvoir d’arriver à une véritable solution. La méfiance d’un côté ou de l’autre en constitue une barrière sérieuse quoique les deux camps évoluent toujours dans la même mouture de droite libérale.


Marc-Arthur Fils-Aimé

23 septembre 2014