Le centenaire de l’occupation aura-t-il le même contenu que les deux années précédentes?
Bref rappel historique
Ce 28 juillet 2014 nous rappelle 99 ans de la première occupation américaine. Ce jour de l’année 1915 « les Blancs débarquent » pour reprendre le titre donné par Roger Gaillard à sa série sur l’occupation américaine. Des bottes américaines ont piétiné pour la première fois le sol haïtien. La puissance impérialiste s’était trouvé un doux alibi. La jeune République à peine émergée des affres de l’esclavage souffrait, il est vrai, de turbulences politiques, les unes plus meurtrières que les autres. En deux ans, du 4 mai 1913 au 27 juillet 1915, le palais national a abrité, à la suite de guerres politiciennes, quatre présidents. Ces meneurs va-t-en-guerre étaient de riches propriétaires fonciers qui utilisaient les masses paysannes enguenillées pour satisfaire leur avidité insatiable d’accéder à la première magistrature de l’État. Ils faisaient partie de la classe des grands propriétaires terriens qui forment la colonne vertébrale de l’oligarchie locale. Rien n’arrêtait leur ambition quitte à tromper des paysans sans terre ou de petits tenants en leur offrant monts et merveille et à les abandonner honteusement à leur sort dès la concrétisation de leur rêve.
Pourtant, cette pénétration forcée dans un État indépendant comptait déjà parmi les mœurs impériales des Yankees depuis l’opération chirurgicale en 1835-1836 pour charcuter le Mexique et s’offrir le Texas. Le capitalisme nord-américain a promené ensuite ses armes par des interventions musclées en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Il continue de le faire aujourd’hui encore au Moyen-Orient et dans d’autres coins de la planète. Les continuateurs de la doctrine de Monroe voulaient, disaient-ils, stabiliser la partie occidentale de l’Île, une année avant d’entreprendre la même offensive en République dominicaine, l’autre partie de la même Île.
L’occupation est ininterrompue.
Sous la présidence du fantoche Sténio Vincent, les marines ont plié apparemment bagage pour nous laisser leurs succédanés qui n’ont jamais failli à leur mission de protéger les mêmes intérêts, ceux des Américains et ceux des classes dominantes qui évoluent dans le pays. Aujourd’hui, le parapluie est renforcé avec le concours de la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation d’Haïti, la MINUSTAH. Pourtant malgré tout ce que la première occupation représente dans la déchéance du pays, le binôme Martelly/Lamothe prend un grand plaisir d’essayer de banaliser cette date. L’année dernière, la ministre de la Culture avait déclaré que c’était involontairement que le gouvernement a choisi la date du 28 juillet pour ouvrir son deuxième carnaval de l’année, baptisé du nom de « carnaval des fleurs » comme si c’était la seule fin de semaine qui leur fût convenable pour organiser cette fête estivale.
Des intellectuels avisés, des organisations et groupements politiques ont proposé aux principaux dirigeants de la République de choisir au moins une autre fin de semaine pour vider leur obsession épicurienne. Car ce jour devait être consacré à la réflexion afin de comprendre les causes de nos tribulations en vue de libérer le pays du joug des forces étrangères.
La politique de l’autruche ne résout pas le problème
Les 99 années de l’occupation en pointillé n’ont pas non plus retenu l’attention des premiers responsables de la barque nationale. Ils ont récidivé en piétinant la mémoire collective. Ils ont organisé leur carnaval des fleurs à la même date que la fois précédente. Ils n’ont pas même cru nécessaire de donner une explication quant au choix de cette date martyre non seulement pour les Haïtiennes et les Haïtiens conscients de cette agression contre la souveraineté d’un peuple qui se cherche, mais aussi pour tous les progressistes du monde qui luttent pour l’autodétermination des peuples. Des protestations plus significatives encore que celles de l’année précédente venues de plusieurs secteurs à travers tous nos départements n’ont eu aucun impact sur la volonté du pouvoir de banaliser l’anniversaire d’un si funeste évènement. Un tel anniversaire ne se voudrait pas, d’ailleurs, un simple souvenir puisque ladite communauté internationale ne se cache plus derrière les rideaux pour orienter selon ses propres besoins la politique du pays. Les occupants n’ont pas baissé les bras. Ils ont amassé, au contraire, une constellation de soldats d’horizons divers pour mieux se protéger et garantir leurs intérêts au détriment de ceux de toute la nation. C’est dans cette perspective qu’ils nous ont enfoncé dans la gorge la MINUSTAH toujours pour nous « stabiliser » alors que leur présence ne contribue qu’à instituer la déstabilisation. Le carnaval, comme l’autruche en se cachant la tête dans un trou pense qu’elle a évité le danger, ne saurait effacer toutes les empreintes de l’Histoire nationale. Il ne saurait éteindre la volonté manifeste du peuple haïtien d’apprendre de son passé pour réorienter son futur.
Dans le fond, la présidence de Martelly n’a pas innové.
Le comportement du président Martelly et de son équipe en bloquant la mémoire collective ne diffère pas de celui de ses précédents. Les grands moments de notre histoire sont galvaudés dans l’espoir d’humilier le peuple en lui enlevant ses meilleurs points de repère. D’ailleurs, le premier janvier est fêté de plus en plus comme le premier jour de l’an. Il n’évoque plus la proclamation de l’indépendance du nouvel État qui s’est forgé à la suite d’une longue guerre anti systémique, où pour la première fois, au monde, des esclaves ont chassé leurs colons maîtres de leurs habitations et annoncé aux capitalistes d’outre-mer la fin du début de l’esclavagisme sur les territoires des Amériques, des Caraïbes et partout où ce système sévissait. Cette tendance qui a commencé à se profiler depuis quelques décennies a emprunté une tournure inquiétante sous les règnes 1 et 2 de l’ancien président Préval qui accordait une infime importance aux fêtes nationales. Cependant, si les gouvernements antérieurs n’ont jamais tenu compte de la date du 28 juillet pour ne pas éveiller le soupçon de leurs principaux protecteurs, il ne leur venait pas à l’esprit de l’enterrer sous les vibrations des décibels des groupes musicaux retenus pour ce carnaval sur tous les contours du Champ de Mars.
Les paysans qui dès 1804, c’est-à-dire dès les premiers jours de l’indépendance dont ils constituaient la force motrice, continuaient à leur servir de chair à canon et à leur dédier leur bravoure, espérant comme toujours avoir trouvé à chaque fois le chemin idéal ou idéalisé pour sortir de la crasse dans laquelle ces mêmes oligarques les ont installés. Le gouvernement américain grâce à l’appui des antinationaux a retiré aux masses paysannes tout droit de lutter à la recherche de leur propre bonheur. D’erreur en erreur, ils y seraient arrivés quand même un jour en les corrigeant et en s’octroyant l’autonomie organisationnelle nécessaire. Elles ont tenté pendant treize ans, de 1807 à 1820, sous la direction de Goman, sous celles d’Acaau de 1843-1844, de Charlemagne Péralte et à la suite de son assassinat, de celle de Benoit Batraville et de leur armée appelée « les caco »
Une invitation patriotique
La société d’Histoire et de Géographie et le Parti Kan Pèp La ont déjà annoncé chacun de son côté, sans aucune consultation ni aucun lien entre eux, une année de mobilisation pour marquer l’arrivée déplacée des voisins du Nord, ces faux amis qui se sont donné tous les moyens pour piller toutes nos richesses humaines et naturelles. D’autres initiatives vont sans doute arriver pour que nous toutes et tous membres de la grande majorité de la population non soumise aux dictats impérialistes, nous parvenions à former un faisceau pour infuser à cette journée la digne attention méritée. Le temps et les expériences néfastes de l’occupation n’ont pas changé l’orientation des classes dominantes et de celles des politiciens qui soutiennent le système. Au contraire, non seulement elles sont devenues plus asservies, mais elles sont fières de leur asservissement. Il revient à toutes les organisations conscientes du mépris de la souveraineté nationale de se rejoindre pour monter ce faisceau anti occupation. Nous souhaitons que le centenaire de l’occupation n’ait pas le même contenu que les deux années précédentes.
Marc-Arthur Fils-Aimé
Port-au-Prince
30 août 2014