La valse des crises (février 2012)
Chaque mois, Marc‐Arthur Fils‐Aimé, directeur général de l’Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL) et partenaire de longue date du CISO, commente pour nous l’actualité de son pays.
Depuis quelques années, le pouvoir politique en Haïti ne semble vivre que de scandales, les uns plus burlesques que les autres. L’avant-dernier concernait le député Bélizaire qui a été arrêté illégalement à l’aéroport Toussaint Louverture de Port-au-Prince en revenant d’une mission pour la Chambre basse en novembre dernier.
Alors que ce problème n’est pas encore résolu puisqu’il est soumis à une enquête sous la direction d’une commission composée des membres de cette branche législative, un nouveau boum vient d’éclabousser la conjoncture. Cette dernière est actuellement dominée par la dénonciation faite par le sénateur Moïse Jean-Charles de la triple nationalité (haïtienne, américaine et italienne) du président de la République, M. Joseph Michel Martelly. Cette situation qui concerne aussi quelques ministres, sénateurs et députés d’après certaines clameurs, mais pour des motifs tactiques ou stratégiques, est restée cachée jusqu’à présent sous le boisseau. Effectivement, la Constitution haïtienne ne reconnaît pas la double nationalité et interdit à quiconque qui a renoncé à sa nationalité haïtienne d’occuper certains postes bien indiqués dont celui de Président de la République.
La rumeur sur la double nationalité de M. Martelly circulait très fortement déjà depuis sa campagne électorale. On l’avait ignorée complètement alors que l’on avait écarté la candidature de M. Wycleff de la course, un autre artiste d’obédience internationale, à cause de sa résidence américaine selon les principes de la même Constitution. La classe politique traditionnelle ne s’en souciait guère. Pourquoi est-ce aujourd’hui que cet écart à la loi-mère refait-elle surface et l’offusquerait-t-elle? La raison apparente se voudrait un règlement de compte entre le président et le sénateur. Cependant, elle est plus profonde qu’une simple mésentente entre les deux élus même s’ils sont placés sur des paliers différents dans la hiérarchie administrative et politique du pays.
En effet, quels seraient les sous-bassement de cette affaire alors que le nouveau président s’est bien installé dans la politique néolibérale édictée par la communauté internationale qui décide des affaires nationales en dernière instance ?
La classe politique traditionnelle n’a jamais accepté M. Martelly comme son représentant légal officiel. Le président lui est tombé comme un légume dans la soupe. C’est quelqu’un qui, à ses yeux, ne s’est jamais publiquement occupé de la politique militante. C’est un néophyte qui d’un coup, empreint de hasard, a fait un coup de maître. Les classes dominantes de leur côté lui reprochent aussi de concéder la construction du pays à la bonne volonté de l’ex-ancien président Clinton. Elles n’ont pas, pour autant, réfuté la Commission intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (la CIRH). Au contraire, cette mainmise de la souveraineté nationale participe de leur idéologie antinationale. Elles se sont montrées insatisfaites tout simplement parce qu’elles ne bénéficient que très chichement des retombées des milliards promis, même s’ils sont très peu tenus. Le gros du montant transite par Haïti pour regagner les coffres américains.
Cette lâche remontrance ne signifie nullement un anti-impérialisme de ces femmes et hommes d’affaires du pays. La réclamation du sénateur leur sert de pression pour exiger une plus grande coopération à la manne de la reconstruction sans pour autant souhaiter un changement brusque du pouvoir avec tous les risques qu’une telle exigence entraînerait. D’aucuns croient aussi que le sénateur Moïse fait le jeu des luttes entre les démocrates et les républicains qui, dans leur marche à la Maison blanche prévue pour le mois de novembre 2012 prochain, chercheraient à capter ou disons mieux à manipuler les voix de la communauté américano-haïtienne qui s’implique de plus en plus dans la politique de leur pays d’adoption. En général, Haïti, par sa position géostratégique, a toujours retenu les préoccupations des deux plus grandes tendances sœurs des États-Unis.
Le doute persiste sur la véracité de l’accusation de ce membre du Grand Corps. De toute façon, ce bras de fer, quelle que soit son issue, annonce une nouvelle crise, soit au sein de l’exécutif, soit au sein du Sénat en tant qu’institution, en dépit de toutes les divergences qui divisent sa composition. Beaucoup de spéculations commencent à nourrir cette crise. La conséquence ne saurait être que négative pour les masses populaires en particulier et le pays en général qui sont condamnés, avec un tel régime, à vivre de promesses fallacieuses et de crises.