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La structuration d’une certaine opposition

Un groupe de citoyens de la région du nord a pris l’initiative de réunir pendant deux jours plusieurs représentantes et représentants de partis politiques et de groupes sociaux dans la ville du Cap-Haïtien, la deuxième ville administrative du pays. Cette activité a abouti le troisième jour, soit le 17 octobre date de la commémoration de l’assassinat de l’un des principaux membres fondateurs de la République d’Haïti, l’empereur Jean Jacques Dessalines, à une grande manifestation de rues. Plusieurs milliers de personnes y ont pris part. Les instigatrices et instigateurs de ce mouvement ont jugé utile de coordonner en un point nodal la frustration grandissante de la grande majorité de la population à l’endroit d’un gouvernement qui navigue à vue. Le sénateur du département du nord, M. Moïse Jean-Charles, qui s’est inscrit comme un virulent opposant du président Martelly, a été aussi de la partie.


Il est vrai que l’année dernière, le gouvernement a souffert de grandes turbulences dans beaucoup de villes. Cependant, à l’exception de celles organisées par des gens qui se sont déclarées pro-Aristide, elles sont isolées les unes des autres, sans suite et ont revêtu un caractère spontané. Cette dernière fois, les maîtres de cérémonie se sont clairement identifiés et n’ont pas caché leur objectif : la démission du pouvoir en place.


La plupart des partis politiques et des groupes sociaux invités ont signé un document, appelé Manifeste du Cap. Alors qu’aucuns disaient ou pensaient que c’était une initiative mort-née, ses chefs de file ont convoqué le 5 janvier dernier dans la ville de l’Arcahaie, une deuxième rencontre, ce pour donner suite à la première. À quelques centaines de mètres d’un commissariat de police, des individus armés dont la plupart occupent des postes officiels au sein du gouvernement ont attaqué à coup de pierres et de tirs d’armes automatiques le rassemblement qui a dû prendre fin prématurément. Cet acte que l’on assimile aux vieilles pratiques duvaliéristes a choqué et interpellé l’opinion publique. Ce samedi 19 janvier, une troisième réunion a été retenue sans aucun grabuge dans la ville de Léogâne. L’assemblée est parvenue à former un comité de suivi, appelé « Comité de pilotage », composé de plusieurs personnalités politiques connues.


Quelle est la portée d’un tel évènement? Ce n’est point l’occasion de porter un jugement sur la composition idéologique de cette assemblée quoique certaines figures d’un passé douteux dans des actions politiques antérieures ne bénéficient pas de la meilleure réputation aux yeux de la grande majorité de la population en général et des membres du camp progressiste en particulier.


Il importe de préférence d’apprécier le pas engagé vers un certain consensus, du moins pour le moment, malgré l’existence de plusieurs nuances et pas forcément de tendances politiques différentes. La présidence de Martelly est de plus en plus décriée à cause de multiples scandales de très mauvais goût qui l’accablent. Elle est accusée comme un réceptacle de la corruption dont serait impliquée sa famille la plus proche. Des crises qui sont parfois le fruit de sautes d’humeur du président et de son premier ministre, avec des paroles désobligeantes, ont contribué aussi à égratigner la légitimité du pouvoir surtout chez des députés et des sénateurs. S’ils sont minoritaires, ils ne sont pas dépourvus pour autant de capacité pour porter de rudes coups au pouvoir en place.


Cette opposition déclarée, nourrie de la volonté de s’unifier et de se structurer, n’a pas réussi ou n’a pas encore réussi du fait de sa jeunesse, à s’attirer la bénédiction des masses populaires. Elle n’en demeure pas moins significative. Est-elle capable de surmonter un certain handicap à cause de quelques personnalités qui la composent?


Cela n’enlève pas pour autant toute la portée de ce geste avec l’espoir que les ambitions partisanes ou personnelles n’étoufferont pas l’initiative dans l’œuf. Tout dépendra aussi de l’orientation que l’on donnera à cette initiative, du programme socio-économique dont il sera doté, y compris de la place qui sera accordée à la souveraineté nationale qui est capturée par ladite communauté internationale sous l’emprise directe de la Mission des Nations-Unies pour la Stabilité d’Haïti, la MINUSTAH.


Nous devons tirer des leçons du passé récent vécu avec le groupe des 184. Ce dernier a su mettre dans la rue des foules immenses opposées à l’ancien président Aristide pour les duper après le départ de ce dernier et remettre le pouvoir à ladite communauté internationale. Nous sommes aujourd’hui sous l’emprise de ces déboires qui ne peuvent plus être ignorés. La nomination de l’actuel président lors des dernières élections générales de 2010 en est l’un des exemples les plus emphatiques.


Marc-Arthur Fils-Aimé