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La deuxième nuit du carnaval finit de façon tragique : une nouvelle catastrophe qui a endeuillé Haïti.

 

Dans la nuit du 16 au17 février, vers les deux heures du matin, une catastrophe a mis fin aux festivités carnavalesques, appelés les Trois jours gras. En Haïti, comme dans la plupart des pays sous influence des religions chrétiennes, notamment catholique, le carnaval est devenu une pièce importante de la culture populaire. L’Haïtien et l’Haïtienne vibrent généralement spontanément au son du tambour, cet héritage de l’Afrique dont nous sommes fiers. En plus de cet élément culturel, il y a d’autres paramètres qui ajoutent à cette festivité son caractère attractif et particulier. S’il est vrai que ce moment ouvre une parenthèse où sont entremêlées les différentes classes sociales pendant les parcours des groupes artistiques et musicaux, cette parenthèse est vite refermée. C’est le Mercredi des Cendres qui emboîte le pas aux dernières notes mettant fin à ces festivités.

 

Mais qu’est-il arrivé enfin cette nuit-là?

Le carnaval joue un rôle palliatif aux grandes masses populaires qui en profitent pour noyer momentanément leur faim, leur misère et toutes sortes de tribulations. Au paroxysme d’une grande liesse, le chanteur vedette de Barikad Crew, un groupe très prisé par la jeunesse, se serait électrocuté. Il performait au sein de sa bande quand il s’est heurté — dit-on — à un fil de courant électrique qui charriait une haute tension. Cet artiste qui est sorti de l’évènement avec des chocs qui l’ont conduit à l’hôpital aurait-il pu survivre à un tel contact? Que s’est-il passé en réalité? Le gouvernement haïtien n’a jamais donné une explication de l’accident, préférant laisser courir des versions et des interprétations diverses, même celles des plus cocasses d’un sacrifice mystique concocté par le chef de l’État pour perpétuer son pouvoir.

 

Paradoxalement, de telles rumeurs profitent aux principaux dirigeants, car ils leur enlèvent toute responsabilité face à la prévention d’un événement prévisible. C’est pourquoi nous avons préféré parler de catastrophe au lieu d’accident qui a en soi un caractère inéluctable. Si on avait pris des mesures d’inspection de l’état du système électrique tout au long du parcours prévu et de la construction des chars qui deviennent de plus en plus des mastodontes circulant dans des rues encombrées par des foules immenses avec des couloirs de secours qui se réduisent au fil des ans, le malheur ne serait pas arrivé ou n’aurait pas cette ampleur. D’aucuns ne croient pas au chiffre de 17 personnes décédées, dont 15 hommes et 2 femmes, confirmé par le gouvernement qui souffre d’un grand déficit de confiance dans la population. D’autres chiffres plus inquiétants circulent sur toutes les lèvres et même dans certains médiats. Le fait évident est que la plupart des victimes sont mortes piétinées, étouffées par des gens paniqués qui ont déclenché un sauve-qui-peut dans toutes les directions. Le président de la République, Michel Martelly, et son premier ministre Evens Paul, devenu méconnaissable par son attitude effacée, ont accordé des funérailles nationales et œcuméniques aux victimes. Voulaient-ils retourner le désastre en leur faveur?

 

Il est vrai que l’actuel gouvernement n’est pas le seul responsable de cette situation. Il y a quelques années déjà, Michel Martelly, alors Sweet Micky, a failli être victime d’une électrocution, lors d’une fête de carnaval où il animait son groupe musical. C’est devenu une habitude de soulever les fils lors du passage des chars avec un poteau en bois. Si la leçon n’a pas été tirée au cours des années précédentes, cette situation restera-t-elle ainsi jusqu’à ce que les victimes ne soient plus de simples inconnues venant des  milieux populaires?

 

Pour le moment, les différentes instances étatiques responsables de l’organisation et de la réussite du carnaval doivent être identifiées et jugées pour leur négligence et accusées d’homicides involontaires. N’est-ce pas une bonne occasion d’initier une attaque de front contre l’impunité qui alimente la corruption qui s’insinue dans tous les pores de notre société?

 

 

Marc-Arthur Fils-Aimé

22 février 2015