La campagne électorale a- t-elle vraiment démarré
Nous écrivions dans l’une de nos précédentes analyses que toutes les difficultés que vit Haïti tournent autour des élections. Le point central de la conjoncture actuelle confirme notre thèse. Même si la majorité des candidats est inféodée à un degré ou l’autre aux idéaux de l’oligarchie et des puissances internationales, quel est le camp qui parviendra à occuper le fauteuil présidentiel ?
Luttes de pouvoir sur fond de pillage
Dans tous les coins du monde où politique et capital sont indissociables, la classe politique s’entredéchire ; Haïti ne fait pas exception à ce niveau. La bataille sous le gouvernement de Joseph Martelly et de Laurent Lamothe a connu une intensité peu habituelle, débutant dès le lendemain de la prestation de serment du nouveau président. Dès le départ en effet, son élection était contestée. Les témoignages de membres du Conseil électoral et de personnalités comme Seitenfus, ambassadeur de l’Organisation des États- Américains en Haïti ou comme le grand cinéaste haïtien Raoul Peck confirmaient des irrégularités plus qu’alarmantes. Selon ces témoins, le candidat Martelly était clairement arrivé à la troisième place. C’est sur le diktat de la communauté internationale qu’il a été hissé au second rang puis a gagné au deuxième tour. Bien d’autres questions ont été soulevées, dont celle de la nationalité américaine du nouvel élu, dossier classé sans suite par Kenneth Merton, l’ambassadeur américain. Dans une rencontre au Palais national, celui-ci a confirmé la nationalité haïtienne du président malgré toutes les preuves à l’effet contraire, dont ses passeports.
Le conflit a maintenant atteint un niveau dont il est difficile de prévoir l’issue. Les différentes composantes de l’opposition réclament la formation d’un Conseil électoral provisoire et rejettent catégoriquement celui qui a été institué par le président de la République et qui ne comporte que 7 membres au lieu des 9 membres prescrits par la Constitution. Des organisations de la « société civile » comme la Plateforme des Droits humains (la POHDH) et le président de la Chambre du commerce et de l’industrie ont plaidé pour la formation d’un Conseil électoral crédible ; à son tour, la Cellule de réflexion et d’action nationale (CRAN) vient d’emboîter le pas et réclame la mise en place d’un organisme électoral digne de ce nom et au dessus de tout soupçon.
Le président Martelly, son cabinet privé et sa batterie de conseillers foncent la tête droite vers leurs objectifs et font tout pour contrôler les différents espaces de pouvoir, y compris le Conseil électoral provisoire. Mais ils sont contrariés dans leurs plans par quelques sénateurs tenaces, soit environ 6 sur les 20 en fonction, et ne ratent pas une seule occasion pour critiquer amèrement le camp rival.
Entretemps, le pouvoir exécutif en place reçoit un appui sans ambages des pays conquérants ; pour ces derniers, Haïti n’est pas encore prête pour la/leur démocratie. De toute façon, la situation de pagaille est à leur avantage, puisqu’elle facilite le pillage des richesses minières du sous-sol haïtien.
Où en sommes-nous ? Au début de la campagne pour les élections présidentielles ?
Les efforts de propagande mensongère du pouvoir exécutif et ses programmes en trompe-l’œil se multiplient. Par exemple, il distribuait dernièrement des sachets de nourriture valant moins de 5 dollars américains à des familles déshéritées, tout en prétendant qu’il s’agissait là d’un élément du plan social du gouvernement. Malgré les échecs patents de ses trois dernières années de direction nationale, l’équipe en place nourrit l’espoir de se faufiler entre ses rivaux pour conserver le pouvoir.
Lors d’une célébration des 2 années de son programme « Ti manman cheri », le 25 mai dernier (soit la fête des mères en Haïti), le président Martelly a désigné le premier ministre Lamothe comme son successeur. Or, le fait est bien connu qu’au sein même de l’exécutif, il existe un camp Martelly et un camp Lamothe, chacun mijotant ses propres plans et nourrissant ses propres ambitions. Les élections présidentielles ne devant avoir lieu qu’au troisième trimestre de l’année 2015, que signifie donc une telle précipitation dans la désignation d’un éventuel dauphin ? On peut imaginer que non seulement les rivaux de Martelly, mais aussi des candidats de son propre entourage vont multiplier les manœuvres pour nuire à un tel choix.
De quoi plonger bien des observateurs dans la perplexité et soulever la question suivante : qui veut vraiment des élections le 26 octobre prochain ?
Et seule constante de ces luttes de pouvoir aux multiples rebondissements, les masses populaires demeurent complètement exclues des affaires de leur pays.
Marc-Arthur Fils-Aimé
28 mai 2014