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Duvalier accusé de crime contre l’humanité

Ce jeudi 20 février, la Cour d’Appel de Port-au-Prince a rendu son arrêt : Jean-Claude Duvalier est passible de poursuite pour crimes contre l’humanité. Il s’agit d’une avancée importante. Il y a quelques années en effet, un juge d’instruction du Tribunal de première instance de Port-au-Prince, Me Cavez Jean, n’avait reconnu que des vols de deniers publics de la part de Duvalier. Dans sa décision rendue en 2011, le magistrat avait donc renvoyé Duvalier au tribunal correctionnel, uniquement pour répondre de ses crimes financiers.


Cette décision, choquante, n’avait cependant pas réussi à décourager les quelques rares personnes qui avaient eu le courage de porter plainte contre le tyran, porté au pouvoir dès l’âge de 18 ans. Respectant la hiérarchie des tribunaux haïtiens, elles ont interjeté appel contre l’odieuse décision du juge Cavez.


Les trois juges de la Cour d’Appel ont maintenant tranché : ils ont reconnu la responsabilité personnelle de Jean-Claude Duvalier dans les crimes sanglants commis pendant les quinze années de son règne, de 1971 à 1986. La Cour est allée encore plus loin en transmettant le dossier au juge Durin Duret pour la poursuite de l’instruction, avec une indication qui pourrait permettre de juger le duvaliérisme en tant que doctrine fasciste. La Cour a demandé d’étendre l’instruction aux « consorts » de Duvalier, c’est-à-dire aux complices du régime dans des crimes qui ont fait plus de 30000 victimes.


Le mot « consorts » mérite effectivement une attention particulière. Il rappelle que le duvaliérisme doit être compris non seulement comme deux chefs d’État, père et fils, mais aussi comme une doctrine.


Le duvaliérisme se positionnait en effet comme une idéologie noiriste; épiphénomène du racisme occidental, il faisait porter aux mulâtres, fils de colons et de femmes esclaves, la responsabilité de tous les maux du pays. Il était la continuité d’un courant politique et idéologique axé sur la couleur de la peau qui faisait des ravages depuis l’époque coloniale.


François Duvalier l’avait réanimé pour les besoins de son propre pouvoir autoritaire, en complicité avec une clique d’intellectuels plus ou moins bien intentionnés. Le président à vie et sa clique avaient ensuite réussi à inculquer leur vision démagogique à une couche importante de la population : les tontons macoutes, aussi appelés Volontaires de la sécurité nationale (VSN) ou miliciens, qui ne se contentaient pas de tuer et de torturer mais aussi, humiliaient quiconque manifestait la moindre velléité de désaccord avec le régime.


L’arrêt de la Cour d’Appel ne signifie pas pour autant que la bataille soit gagnée pour coincer définitivement Jean-Claude Duvalier et sa bande de tortionnaires et d’escrocs. Les avocats de Baby Doc ont en effet annoncé qu’ils allaient se pourvoir en cassation. 


Le duvaliérisme a eu le temps d’infecter le système judiciaire et d’en corrompre toute la structure, demeurée presque intacte malgré le départ du dictateur le 7 février 1986. Le vieil adage dit que l’hirondelle ne fait pas le printemps et on peut toujours espérer que quelques magistrats intègres et honnêtes se détachent du lot pour mener le dossier jusqu’à son aboutissement. Cependant, l’issue demeure incertaine pour le camp démocratique, d’autant plus que l’actuel gouvernement se montre disposé à raviver le duvaliérisme.


Marc-Arthur Fils-Aimé

26 février 2014