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Crise en Haïti : lettre ouverte de la Concertation Pour Haïti (CPH)

Montréal, 18 octobre 2022

Le Canada se trouve à une croisée des chemins dans sa longue relation avec Haïti. Le gouvernement Trudeau doit choisir entre continuer à soutenir un gouvernement corrompu, incompétent et meurtrier, dirigé par le Dr Ariel Henry, ou mettre en œuvre la phrase souvent répétée : une solution haïtienne.

La solution haïtienne est la transition de rupture, prônée par l’accord de Montana – composé d’un large éventail de représentants de la société civile, des partis d’opposition et du secteur privé, qui sont représentatifs de la société haïtienne et qui sont parvenus à un large consensus. Le Canada doit maintenant cesser de soutenir le gouvernement d’Ariel Henry et peser de tout son poids sur cette coalition, qui est la seule proposition viable pour une transition qui permettrait aux Haïtiens et Haïtiennes d’organiser des élections libres et équitables. Continuer à soutenir le Premier ministre actuel, c’est condamner le pays à la corruption, à l’impunité, au maintien de la domination des gangs et à l’aggravation de l’insécurité alimentaire sans cesse grandissante.

À l’origine des troubles actuels, il y a un mouvement de la société civile légitime et à large assise, qui a commencé à faire campagne, en 2018, pour que le gouvernement enquête sur les fonds prêtés par le Venezuela, connus sous le nom de fonds PetroCaribe. Ce mouvement a donné lieu à une riposte de la part d’une élite économique bien établie, liée au Parti haïtien tèt kale (Phtk) au pouvoir, qui s’oppose farouchement à tout changement du statu quo et qui a financé une campagne de violence des gangs dans les quartiers populaires de Port-au-Prince, où le mouvement PetroCaribe était fort. Depuis le massacre de La Saline en 2018, au cours duquel plus de 70 civils ont été tué.e.s et violé.e.s par des bandes armées, la violence s’est intensifiée et les gangs contrôlent désormais l’entrée de Port-au-Prince, tuant et violant en toute impunité.

Il est tentant pour certains de croire qu’une intervention militaire internationale musclée mettra les gangs hors d’état de nuire et permettra à Haïti de retrouver une situation plus normale. Ce ne sera pas le cas. Ceux, qui ont suivi Haïti au fil des ans, savent que les missions internationales de l’Onu et de l’Oea n’ont pas réussi à mettre le pays sur la voie du progrès et de la stabilité. Les institutions d’Haïti restent faibles et les secteurs puissants derrière les gangs s’opposent à tout changement réel, qui remettrait en cause leurs privilèges économiques et politiques.

Le moment est venu pour le Canada de tenir en compte les propositions haïtiennes, y compris celles de la société civile, et de réfléchir à son rôle dans les missions de maintien de la paix passées et de l’évaluer. Cette fois, il ne doit pas limiter ces discussions à la classe politique, mais inclure tous les secteurs, y compris la société civile. Les leçons apprises devraient permettre de formuler des propositions, pour un rôle plus constructif à moyen et long terme, qui sera plus inclusif de tous les Haïtiens et qui contribuera à des solutions réelles et plus durables en Haïti.

Afin d’aller de l’avant dès maintenant, nous recommandons les actions prioritaires suivantes pour le Canada :

• Mettre fin au soutien au gouvernement d’Ariel Henry, dont la légitimité est largement contestée, depuis son ascension au pouvoir, et soutenir l’Accord de Montana ;

• Frapper un coup contre l’impunité en soutenant une commission internationale, chargée d’enquêter sur l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet 2021 et d’en punir les auteurs, et en appuyant la justice haïtienne dans des affaires emblématiques comme l’assassinat du juge Monferrier Dorval en 2020 ;

• Offrir une assistance technique à Haïti dans le dossier de corruption PetroCaribe, dont le dossier a été complété par la Cour supérieure des comptes et qui pourrait permettre à l’État de récupérer au moins une partie des sommes détournées ;

• Imposer des sanctions au Canada, notamment l’annulation des visas et le gel des avoirs de ceux qui financent et contrôlent les gangs.

La stratégie canadienne est, pour l’instant, de renforcer les capacités de la police nationale haïtienne. Ottawa a fourni un financement d’environ 30 millions de dollars en 2022, en plus d’avoir récemment donné le feu vert à la vente de véhicules blindés canadiens pour ses policiers, mais son action doit aller plus loin, notamment en reconnaissant la légitimité des solutions mises de l’avant et provenant de la société civile haïtienne.

Le Canada devrait également utiliser son rôle et son influence au sein du Core Group, pour que ses autres membres soutiennent aussi les mêmes pistes d’action en Haïti.

Pour la Concertation pour Haïti,

Marcela Escribano

Marc Édouard Joubert