Compte-rendu du dîner-causerie « Les femmes et la souveraineté alimentaire »






COMPTE RENDU DU DINER-CAUSERIE SUR LES FEMMES ET LA SOUVERAINETE ALIMENTAIRE.


Voici un résumé de l’allocution de Miriam Nobre au dîner-causerie intitulé Les femmes et la souveraineté alimentaire présenté par le CISO le 18 novembre 2008 dans le cadre de la douzième édition des Journées québécoises de la solidarité internationale. Madame Nobre coordonne le secrétariat international de la Marche mondiale des femmes au Brésil.

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Miriam Nobre, coordonnatrice de la marche mondiale des femmes au Brésil

 

Après avoir expliqué les champs d’action de la Marche mondiale des femmes, Miriam Nobre a expliqué comment la marche mondiale des femmes en est venue à s’impliquer dans le mouvement de promotion de la souveraineté alimentaire. Elle a ensuite dressé un portrait global de ce que signifie la souveraineté alimentaire, des principes qui la gouvernent, et du lien qui unit souveraineté alimentaire et condition féminine.


 

 

PRÉSENTATION


La Marche mondiale des femmes est née au Québec, mais en 2006, son secrétariat international a déménagé à Sao Paulo au Brésil. La première action internationale a eu lieu en 2000 avec la marche Du pain et des roses. Le mouvement s’est ensuite poursuivi en 2005 et le secrétariat international de la marche mondiale des femmes élabore actuellement les actions internationales qui seront mises de l’avant dans différents pays en 2010.


Les deux principales actions menées en 2005 ont consisté en l’élaboration de la Charte Mondiale des Femmes pour l’Humanité et le relais de la Courtepointe de la Solidarité mondiale. La Charte Mondiale des Femmes pour l’Humanité a été adoptée par 35 pays au terme d’une année de débats. Il s’agit d’un texte énonçant les principes essentiels à la construction du monde que les femmes voudraient bâtir, un monde fondé sur les valeurs de paix, de solidarité, de justice, d’égalité et de liberté. Un relais de cette Charte Mondiale des Femmes pour l’Humanité et d’une courtepointe a été organisé à travers plusieurs pays pour permettre à chacun des pays où transigeait le tissu d’y inscrire ses revendications pour un monde différent. Le projet a débuté à Sao Paulo en 2005.


Les actions de la Marche Mondiale des Femmes de 2005 ont été menées principalement dans des zones limitrophes entre pays, ce qui a fortement contribué à changer la dynamique du mouvement féministe, jusqu’alors essentiellement urbain, en donnant une voix à des femmes paysannes et aux habitantes de petites villes. Les revendications des femmes paysannes sont apparues avec force, et ont fait prendre conscience de la possibilité de rassembler toutes les préoccupations et les revendications de ces femmes sous le principe de la souveraineté alimentaire. Le concept de la souveraineté alimentaire a été proposé à l’origine par Via Campesina, un mouvement international qui coordonne des organisations de petits paysans et avec lequel la Marche Mondiale des Femmes collabore.


SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE :


La souveraineté alimentaire est le droit des peuples de décider comment ils entendent produire, distribuer et préparer les aliments selon leurs cultures respectives et selon certains principes de justice et de respect de l’environnement. Ce droit doit pouvoir être exercé malgré le contexte actuel de néolibéralisme qui favorise la libre circulation du capital et des marchandises pour une maximisation des profits. L’alimentation est aujourd’hui devenue une marchandise et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) n’y est pas étrangère. Le droit à la souveraineté alimentaire a été remis en question par l’OMC et par les accords bilatéraux. Via Campesina a beaucoup lutté pour dénoncer les politiques de dérégulation des marchés alimentaire et agricole de l’OMC, et pour que l’organisation ne régisse plus le domaine agricole. Le mouvement croit qu’il ne faut pas seulement revoir certaines réglementations imposées par l’OMC mais remettre en cause toute la légitimité de l’institution en rapport au domaine agricole.


L’affirmation de souveraineté alimentaire va bien au-delà d’une lutte contre le libre-échange. Elle propose une critique générale de la façon dont toute l’agriculture est organisée. Avec l’expansion des technologies développées sous « la révolution verte » on a assisté à une industrialisation de l’agriculture comme s’il s’agissait d’une industrie similaire à toutes les autres, à laquelle on pouvait appliquer les mêmes critères d’homogénéité et de productivité. On a assisté à une différenciation entre les êtres humains par rapport à l’alimentation. Alors qu’il faut désormais assurer aux personnes riches un accès à une alimentation de qualité, diversifiée et d’origine contrôlée, on ne se soucie aucunement de l’alimentation de la grande majorité des gens ayant des moyens modiques. La nourriture ne fait office pour eux que de moyen de subsistance minimal, pour permettre à la machine qu’est le corps humain de continuer à fonctionner. On ne se soucie plus de la façon dont les aliments sont produits, du traitement et des transformations qu’ils subissent avant de finir dans les assiettes des personnes plus pauvres. L’accès à l’alimentation et la qualité de l’alimentation diffèrent donc en fonction du pouvoir d’achat des uns et des autres.


L’aliénation au travail est un autre effet pervers de l’industrialisation de l’agriculture intensifiée par le néolibéralisme. La compartimentation des tâches et les chaînes de production font que les travailleurs ne voient même plus le fruit de leur travail. Les gens qui travaillent dans le domaine de l’exportation ne mangent pas les fruits produits chez eux. On ne peut plus mesurer aujourd’hui la valeur du travail accompli, car il y a une telle division des tâches, qu’un travailleur ou une travailleuse ne connaît plus les différentes étapes de la chaîne de production par lesquelles passe l’alimentation.


Via Campesina a donc compris l’importance de bâtir des alliances afin de freiner cette marchandisation de l’alimentation. C’est de là qu’est née l’alliance avec les environnementalistes, les autochtones, les producteurs d’aliments, déjà très préoccupés par la question de la souveraineté alimentaire. Puis on a compris qu’il fallait élargir ce mouvement aux villes, et de nouvelles alliances sont nées avec les syndicats et le mouvement féministe.


C’est la possibilité d’offrir de nouvelles alternatives qui a rallié le mouvement féministe à cette revendication en faveur de la souveraineté alimentaire. Des actions étaient déjà posées au niveau local, mais c’était l’occasion d’articuler ces luttes de résistance à un niveau national et international. Il s’agissait et il s’agit encore de créer et de renforcer le système alimentaire mondial basé sur des principes différents, tel que le travail décent, des circuits de marchandisation plus courts, le respect de l’environnement, l’agricologie, etc.


Quel est le lien entre ces principes et l’autonomie des femmes ?


Une des principales préoccupations des femmes paysannes était celle d’assurer l’accès légal à la terre aux femmes, de même que le droit de décider comment ces terres seraient utilisées, ce qui y serait planté et cultivé, le type de production qui serait développé, etc. Ceci a mené à une lutte contre l’expansion des monocultures et contre les exigences des banques qui n’octroient des prêts aux agriculteurs qu’à condition qu’ils utilisent les nouvelles techniques de la révolution verte. Or on sait que la production d’agrocarburants liée aux monocultures est une fausse réponse au changement climatique parce qu’elle consiste à maintenir les mêmes habitudes de consommation, de transport. Par ailleurs, il s’agit d’une production énergétiquement inintéressante puisqu’elle nécessite une mécanisation elle-même très énergivore.


On s’est ensuite attaqué au pouvoir de négociation des femmes au sein de leurs propres familles afin qu’elles puissent décider de l’usage qui serait fait de la terre, (production vivrière, élevage des petits animaux, etc.) et qu’elles aient la voie libre pour mener certaines expérimentations. Cela permettrait également de reconnaître les connaissances accumulées par les femmes au fil des siècles, en rapport à l’usage de plantes médicinales, à la conservation et à la préparation des aliments, etc.


La Marche mondiale des femmes insiste toutefois sur l’importance de ne pas reléguer la responsabilité de la souveraineté alimentaire uniquement aux femmes. Il faut au contraire diminuer les exigences envers les femmes et partager cette responsabilité pour assurer une plus grande durabilité de la nature et des personnes.


Les revendications au cœur des actions qui seront menées en 2010 tourneront autour des 4 champs d’actions suivants:


1.  La violence faite aux femmes : mener des campagnes de sensibilisation, de dénonciation, de prévention.

2  Le travail des femmes : assurer de meilleures conditions de travail aux femmes, lutter pour l’augmentation du salaire minimum, pour la diminution des écarts salariaux entre hommes et femmes, lutter contre l’exploitation des femmes par certaines entreprises transnationales, notamment dans les domaine de l’agriculture et du textile. Enfin, lutter contre les traités de libre échange et contre la dette des pays pauvres.


3.  L’appel à la démilitarisation : rendre visible les intérêts en jeu dans les cas de conflits armés et dénoncer l’utilisation du corps des femmes comme butin de guerre.


4.  La reconnaissance des biens communs : mener une résistance contre les intentions de privatisation des biens communs tels que la nature et l’eau.

Chaque pays sera appelé à développer des demandes nationales à son gouvernement par rapport à ces quatre champs d’actions.


Enfin, en ce qui a trait au travail des femmes et à leur apport au domaine de l’agriculture, il convient de noter ce qui suit : étant donné que le travail des femmes est souvent invisible, que c’est un travail mal sinon pas reconnu, il est difficile, voire dangereux de donner des chiffres quant à l’apport des femmes dans la production agricole mondiale. Ces chiffres varient en fonction des régions du monde, en fonction des conflits armés qui ont court dans certaines régions. Les estimations sont donc fragmentaires et discutables. Un des défis consiste justement à reconnaître le travail des femmes en utilisant de nouvelles références, plus représentatives et plus inclusives que les références actuellement utilisées. Il importe enfin de bâtir un mouvement social solide et d’essayer de changer nos pratiques au niveau individuel pour donner plus de consistance à nos mouvements.


Vous pouvez consulter le site du Forum de Nyéléni 2007 pour obtenir de plus amples informations sur la souveraineté alimentaire : http://www.nyeleni2007.org/


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