Comment comprendre l’amendement de la Constitution ? (août 2012)
Comment comprendre l’amendement de la Constitution.
La Constitution qui a été votée le 29 mars 1987 par une grande majorité de la population a toujours vivoté dans la tourmente en dépit du fait qu’elle a été cousue dans le moule de la démocratie représentative bourgeoise. Elle a été, si ce n’est la seule, du moins l’une des rares de nos Chartes fondamentales qui n’ait été conçue par chaque nouvel occupant du Palais national pour répondre à ses propres désidératas et surtout à sa volonté expresse pour faire vieux os au pouvoir. Déjà l’ex- colonel Prosper Avril (18 septembre 1988- 10 avril 1990), avait mis en veilleuse certains de ses articles qui semblaient encombrants pour lui et son gouvernement. Le président René Préval durant son deuxième quinquennat (février 2006 – mai 2011) eut à déclarer que la Constitution en vigueur constitue la principale source de tous les maux du pays.
Depuis lors, il a installé toute une cohorte de chercheurs et d’intellectuels parmi lesquels on comptait Claude Moïse, Michel Hector pour travailler à son amendement. Il visait, il est vrai, comme objectif de perpétuer son pouvoir soit personnellement soit par l`intermédiaire de l’un de ses fidèles amis dans la lignée du présidentialisme traditionnel haïtien. Malheureusement, le sort des dernières élections en a décidé autrement. Il a été remplacé par le président Michel Martelly, quelqu’un qui lui est au moins dans les formes totalement opposé. Ainsi comprenons-nous pourquoi de 1804 à 1987, Haïti a vécu sous la coupe d’une somme de vingt-quatre constitutions auxquelles leurs inspirateurs n’obéissent que partiellement selon les besoins de la conjoncture.
Sous l’égide de quelle constitution le nouveau président accepte-t-il de gouverner ?
Les premières minutes du nouveau président se trouvaient ballotées entre deux constitutions : l’une en vigueur depuis le 28 mars 1987 et l’autre amendée nuitamment en quelques heures dans la turbulence parlementaire. La fin de la législature légalement reconnue pour opérer un tel changement qui approchait sans délai et l’imminence de l’investiture du président Martelly commandaient pour la plupart des députés et des sénateurs cette urgence. L’arrimage s’est ficelé effectivement avant minuit.
Le nouvel élu avait opté en fin de compte de ne pas publier l’amendement truffé de vices de forme même si pour nous de la catégorie des militantes et des militants, ce sont les pertes des acquis démocratiques obtenus de longues et de dures luttes qui retiennent davantage notre attention. M. Martelly a à plusieurs reprises déclaré que cette mouture non seulement comprend certains articles qu’il jugeait à son désavantage, mais qu’elle lui tendait aussi un certain piège. Pourtant en face de lui, tournoyait toute une équipe composée d’autres secteurs de droite comme lui tels les Rony Desroches du groupe ‘’Initiative de la Société Civile’’ (ISC), des parlementaires subjugués aux puissances impérialistes, et ces puissances elles-mêmes.
Le blocage ou le déblocage de la publication au journal officiel, le Moniteur, de l’amendement s’est finalement mû en instrument de chantage entre les mains des deux principaux courants sur cette question. L’approbation de Laurent Lamothe par les deux Chambres comme nouveau premier ministre en remplacement de Gary Conille, la brebis galeuse de la nouvelle version pro- duvaliériste, devait dépendre de la décision finale du président de répondre ou non au marchandage des protagonistes de l’amendement. Pour la réussite d’un tel évènement, une fois encore les intérêts individuels ont primé sur ceux de l’État-nation.
Le sénat sous la férule de quelques sénateurs puissants dont le mandat tirait à sa fin, a voté dans un laps de temps record la politique générale du nouveau postulant au mépris d’un minimum d’éthique que requerrait ce grand Corps. Ils ont rejoué le même scénario de la nuit néfaste du 13 au 14 mai 2012 de l’amendement de la constitution. Finalement, avec l’autorisation du chef de l’État, le journal officiel dans son numéro du 18 juin dernier a publié un amendement. Lequel des divers textes qui circulaient même au sein du parlement, a paru dans ce Moniteur ? Le président du sénat, M. Desras Simon Dieuseul, à l’instar de quelques-uns de ses collègues, avait vivement contesté la version adoptée en disant qu’elle ne correspondait pas à celle qu’il avait signée.
Heureusement que l’USAID a eu la sagesse ou le privilège de convoquer durant les trois premiers jours du mois de juillet ces acteurs en retraite pour que brusquement l’harmonie la plus cordiale revienne entre eux, le gouvernement et surtout l’ambassade américaine !
Marc-Arthur Fils-Aimé
Directeur général de l’Institut Culturel Karl Levêque (ICKL).
19 juillet 2012.