Commémoration du 50e anniversaire du coup d’état au Chili : L’autre 11 septembre
Par Luc Allaire
Responsable des relations internationales de la Centrale des syndicats du Québec
Président du Centre international de solidarité ouvrière et de la Fondation Salvador Allende de Montréal
Nous avons féminisé le présent texte.
Je me souviens très bien du 11 septembre 1973. J’étais alors étudiant au cégep Bois-de Boulogne et cette nouvelle m’avait bouleversé. Je m’étais alors engagé dans le comité Québec-Chili qui regroupait des étudiants de plusieurs cégeps et d’université ainsi que des groupes de gauche. C’était mon premier engagement sur une question internationale.
J’avais alors participé à l’occupation du consulat chilien à Montréal. Une fois rendus dans les bureaux du consulat, nous étions sortis sur le balcon et avions déroulé une grande bannière qui dénonçait le coup d’état.
Rappelons le contexte dans le coup d’état du 11 septembre 1973 s’est déroulé. Salvador Allende a élu démocratiquement le 4 septembre 1970 à la tête d’une large coalition de gauche, l’Unité populaire. Nous étions en pleine guerre froide. L’obsession de Washington était d’éviter un second Cuba.
En apprenant la victoire d’Allende, le président Richard Nixon avait déclaré qu’il fallait faire tomber ce « son of a bitch ». Il avait alors ordonné des opérations de déstabilisation, notamment en finançant des grèves dans le secteur du transport pour faire saigner l’économie chilienne.
Mais ce sont les forces armées chiliennes qui ont fait un putsch militaire.
Cette « voie chilienne vers le socialisme » a suscité un grand engouement en Europe et au Canada. L’Unité populaire était une expérience unique dans l’histoire du socialisme au XXe siècle. Elle était à la fois radicale dans sa volonté de transformation sociale et enracinée dans la démocratie.
À la fin des années 1960, après les révélations des crimes du stalinisme, l’alignement de La Havane sur Moscou dans la répression du printemps de Prague en 1968, le désenchantement est grand pour la gauche mondiale. L’expérience chilienne apparait alors comme l’utopie parfaite d’une révolution authentique, qui n’a pas besoin de faire tomber des têtes.
D’autant plus que le discours du gouvernement Allende s’accompagne d’actions. La réforme agraire rend possible une redistribution des terres, qui transforme la condition paysanne. La nationalisation des industries extractives permet à l’État de récupérer des ressources qui étaient volées par les multinationales.
Cette expérience suscite l’enthousiasme au Chili, puisque lors des élections municipales de mars 1971, l’Unité populaire obtient un score supérieur (50 %) à celui obtenu par Allende en 1970 (36 % des voix).
L’écho international du 11 septembre est proportionnel à l’enthousiasme qu’avait suscité l’arrivée au pouvoir de l’Unité populaire. Il y a une très grande médiatisation du coup d’état. La junte a affiché sans vergogne la répression. Les photos du stade national de Santiago où ont été parqués les opposants circulent partout. Cette médiatisation avive les sensibilités, notamment la nouvelle du décès d’Allende.
À la suite du coup d’état, des milliers de Chiliens et de Chiliennes de gauche sont accueillis au Québec. Et ce, dans un contexte de crise économique mondiale dû au choc pétrolier de 1973, qui a provoqué une augmentation importante du taux de chômage. Néanmoins, les Chiliens et les Chiliennes sont très bien accueillis, et ils et elles s’intègrent très bien dans la société québécoise.
Les organisations syndicales au Québec se sont montrées solidaires du peuple chilien, en organisation une conférence internationale de solidarité ouvrière en juin 1975 dont l’un des thèmes principaux était la dénonciation du coup d’état au Chili. Cette conférence a résulté en la création du CISO, le Centre international de solidarité ouvrière.
Quelle est la situation actuelle au Chili?
En décembre 2021, les Chiliens et les Chiliennes ont voté pour un président de gauche, Gabriel Boric. Cette élection était le fruit d’un vaste mouvement de contestation populaire qui avait débuté en octobre 2019.
J’ai eu la chance de participer à une mission d’observation réunissant des universitaires, des syndicalistes et des députés québécois et canadien en janvier 2020. Nous avons pu constater l’ampleur de ce mouvement de contestation. Plus d’un million de Chiliens et de Chiliennes étaient descendus dans la rue lors de certaines manifestations. Elles faisaient suite à l’étranglement économique auquel sont soumises les classes populaires et moyennes.
« Le Chili a été le berceau du néolibéralisme », il en sera le tombeau, nous disait-on. Il y avait aussi une volonté de rompre avec le modèle néolibéral hérité de Pinochet. Les chiffres sont spectaculaires. Le 25 octobre 2020, 80 % des Chiliens et des Chiliennes ont voté en faveur d’une assemblée constituante.
Malheureusement, le projet de constitution progressiste qui était proposé par cette assemblée constituante a été battu lors d’un plébiscite en septembre 2022.
J’étais à Santiago pour l’occasion, où s’étaient rendues des délégations de plusieurs pays. La déception a été très grande lorsque nous avons appris les résultats : 62 % de la population chilienne a voté contre ce projet de constitution, qui était certainement la plus progressiste du XXIe siècle.
Il faut dire que la propagande de la droite alimentée par le mensonge et la désinformation a été épouvantable. Quelques exemples, les journaux de droite prétendaient que les gens perdraient leur maison car la nouvelle constitution octroyait la possibilité de construire des logements sociaux, et que les paysans ne pourraient plus monter à cheval à cause du droit à la nature. Un chauffeur de taxi m’a expliqué pourquoi il avait voté Non : « J’ai beaucoup économisé pour acheter une maison, je ne voulais pas la perdre ».
Le grand danger actuellement est la perte de confiance dans la démocratie pas seulement au Chili, mais dans l’ensemble de l’Amérique latine, en Europe et aux États-Unis. Plus il y a d’inégalités, moins il y a de consentement à la démocratie. Aujourd’hui, les plus grands défis des démocraties sont la réduction des inégalités et la transition juste pour faire face aux changements climatiques. Malheureusement, de nombreux régimes démocratiques perpétuent les politiques néolibérales qui aggravent les inégalités. D’où la perte de confiance dans la démocratie chez une fraction importante de la population.
Un petit mot pour terminer. La semaine dernière, j’étais à Washington pour une réunion de l’Internationale des services publics. J’ai profité de mon séjour pour aller visiter le Musée de l’Histoire américaine. On y faisait l’éloge de la révolution américaine qui avait permis la fondation de la première démocratie au monde. Mais on ajoutait que les promesses de liberté n’avaient été réalisées que pour une partie seulement de la population, l’esclavage ayant perduré pendant un siècle pour les Noirs.
Il y avait aussi une référence au coup d’état au Chili. On y mentionnait le paradoxe entre la promotion de la démocratie faite par les États-Unis et leur appui aux dictatures, dénonçant l’appui à Pinochet qui a fait un coup d’état sanglant mettant fin à la démocratie au Chili.
Plusieurs activités de commémoration sont organisées à Montréal pour souligner le 50e anniversaire du coup d’état au Chili. Pour en savoir plus.