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Bref regard sur les élections du 20 novembre dernier

 

Effectivement, les élections présidentielles et celles d’un tiers du Sénat et de quelques député.e.s qui ont raté le coche de 2015, ont eu lieu le dimanche 20 novembre dernier. La journée a été calme sans violence apparente. Le Conseil Électoral Provisoire (CEP), le président de la République Jocelerme Privert, le premier ministre Enex Jean- Charles  et l’ensemble du corps exécutif ont recueilli de toutes parts un flot de félicitations. Ils ont pu, d’après plus d’un, faciliter la réalisation des élections sans leur ingérence intempestive.

 

Pourtant, le ver est dans le fruit. Le Conseil a hérité d’une machine électorale sur laquelle il ne dispose que d’un contrôle très limité. Il a essayé d’y apporter une certaine modification dans l’esprit de la bonifier en changeant quelques membres des bureaux électoraux.  Pourtant, c’est tout le processus qu’il devait totalement transformer. Les 9 conseillères et conseillers électoraux en quelques mois, même de bonne fois, ne peuvent maîtriser un appareil vieux de quelques quinze années avec des cadres dont la plupart sont subordonnés à des intérêts antipopulaires et antinationaux. C’est ce qui a facilité des fraudes de diverses sortes. Par exemple, des gens ont voté avec des cartes qui ne leur appartiennent pas et des superviseurs ne se sont pas opposés à ces manœuvres déloyales.

 

La situation économique y est pour quelque chose. En effet, des votantes et votants ont vendu leur vote pour quelques mille gourdes soit pour moins de 15 $ américains. Il est intéressant d’expliquer ce comportement qui est en soi une sorte de violence. Le vendeur donne la moitié de la somme et un téléphone à l’acheteur qui doit filmer sa signature après avoir voté. Au retour, elle ou il reçoit l’autre moitié de ce qui est dû.

 

De plus, la communauté internationale en dépit du fait que les élections ont été financées par le trésor public haïtien a joué un rôle important dans le déroulement des élections surtout avec une présence remarquable au centre de tabulation, là où les dernières cartes se jouent. Cette communauté internationale qui avait applaudi des deux mains aux élections bancales de 2015 qui avaient annoncé la victoire du même Jovnel et qui a remporté dès le premier tour celles de cette année d’après les résultats préliminaires du Conseil électoral.

 

La communauté accepterait-elle de perdre la face? Qui peut expliquer la logique qui fait que des procès-verbaux d’un centre électoral logé à Cité Soleil qui se trouve à quelques minutes à pied du centre de tabulation soient arrivés à ce centre plus de 48 heures après la tenue des élections? C’est l’UNOPS,(United Nations Office for Projects Services) cet organisme des Nations-Unies, qui est responsable de ce service. Leurs voitures curieusement sont tombées en panne plusieurs fois au cours du transport de ce matériel délicat.

 

C’est ce qui a porté les principaux candidates et candidats à la présidence à contester le résultat qui a donné à Jovnel Moïse la victoire à plus de 55% des votes. Celui-ci est le fils spirituel de l’ancien président Martelly. Si son élection est confirmée après les recours légaux, le pays va souffrir de l’insouciance de cette équipe, la plus corrompue que le pays ait connu ces derniers temps. Son plus prochain concurrent Judes Célestin, dauphin de l’ancien président Préval n’en a récolté qu’environ 19 %.  Il n’est pas non plus un saint parmi les saints et son nom est cité dans plusieurs choses louches. Des mobilisations commencent à couvrir certains quartiers de la capitale et qui vont  s’intensifier dans les jours ou les semaines à venir pour contrer l’arrivée de Jovnel au timon des affaires de l’État haïtien. Pourtant celui-ci, deux ans auparavant, ne s’occupait que de ses affaires privées. C’est l’ancien président Michel Martelly qui l’a parachuté sur la scène politique.

 

Fût-il légal, le nouveau président n’aura aucune légitimité avec un taux de participation populaire de 20% aux élections. La grande  majorité ne s’est pas retrouvée dans les promesses des 27 candidates et candidats à présidence. Même l’ancien président Aristide n’est pas arrivé à mobiliser ses troupes au profit de sa représentante directe, Docteur Maryse Narcisse. Son mythe a écopé d’un coup qui ne restera pas sans conséquence sur sa vie et son comportement politiques même si sa capacité de mobilisation n’est pas totalement éteinte. Il existe certaines poches populaires qui lui restent encore fidèles et qui sont prêtes à exécuter ses mots d’ordre. La participation aurait pu être plus faible si ce n’était la candidature des sénateurs et des députés qui ont bénéficié de la proximité de leurs riverains.

 

Jovnel va diriger le pays avec quelque 500 000 voix sur une population en âge de voter de plus de 6 millions de personnes. Sa réussite ne signifie nullement une large popularité. C’est pourquoi d’ailleurs nous n’avons assisté à aucune manifestation de joie à travers le pays comme cela se faisait lors des autres élections.

 

Marc-Arthur Fils-Aimé

4 décembre 2016