Allocution de Marc-Édouard Joubert

Lisez l’allocution de Marc-Édouard Joubert, président du Conseil régional FTQ Montréal Métropolitain sur différents enjeux et défis sur lesquels la communauté internationale et les syndicats devront se pencher dans les prochaines années. 

Crédit photo: Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

 

Je dirais d’entrée de jeu qu’il nous faut modifier notre vision du monde de manière globale. Il faut considérer l’accroissement des inégalités de richesse notamment comme étant un des points de départ de notre analyse et de nos actions en solidarité internationale. Je voudrais intégrer à titre d’exemple les deux citations suivantes :

La première est tirée du livre Perdre le SUD de Maïka Sondarjee« rapport d’Oxfam international, les 22 hommes les plus riches de la planète possèdent autant de richesse que l’ensemble des femmes africaines ».

Et l’autre qui réfère aussi au même rapport annuel de 2018 qui signale « Que les inégalités entre les pays les plus riches et les plus pauvres ont augmenté dans la proportion de 44 pour un en 1973 à 80 pour un en 2018. Et pour illustrer ce phénomène, disons que le PDG d’une des 5 plus grandes multinationales du textile gagnent autant d’argent en 4 jours qu’une de ses employées indiennes durant toute sa vie. » p 85-86.

 

En lisant cet ouvrage, je me réclame donc de « l’internationalisme radical » qui implique d’adopter une vision anticapitaliste, décoloniale et féministe de la coopération internationale sachant que les travailleuses subissent de manière différenciée les inégalités systémiques du capitalisme.

Il faut décrier le modèle du capitalisme à outrance basé sur la concentration des richesses. Il faut décrier ce modèle fondé sur l’extractivisme dont le Canada profite abondamment.

 

On a parfois l’impression que la solidarité internationale est devenue une composante du modèle capitaliste et extractiviste dont la mission ressemble parfois à une opération de relations publiques visant à se donner bonne conscience. Certes cela s’apparente parfois à une posture d’équilibriste mais il nous faut être absolument plus critique système économique actuel. Nous reconnaissons toutefois que cela pose de nombreux défis.

Il faut cesser de voir ce dossier comme étant une bonne œuvre ou le fait de redonner au suivant puisque les pays du NORD par leurs politiques coloniales passées et actuelles contribuent à perpétuer le déséquilibre qui rend indispensable les dons ou contributions faites par les ONG notamment.

 

Je crois que collectivement (incluant les syndicats) nous devons nous activer à briser le moule des inégalités en amont… d’où la pertinence de la poursuivre de manière intensive notre mobilisation pour la justice sociale tant localement qu’internationalement. Il nous faut résolument nous ériger contre la précarisation du statut de millions de travailleuses et de travailleurs à qui on retire leur dignité en les maintenant dans un état de dépendance marqué par la fragilité de leur statut. Il faut rattacher le travail à la notion de dignité et d’émancipation. Il faut cesser de dissocier les êtres humains du travail qu’ils ou elles effectuent.

La souffrance des êtres humains n’est pas un spectacle et ne devrait pas être considérée parfois comme un safari dans le but de distraire, au départ, des personnes bien intentionnées. Notre engagement doit se traduire par des efforts visant à changer durablement le système, rien de moins.

TOUT LE MONDE VEUT VIVRE DANS LA DIGNITÉ. PERSONNE NE VEUT ÊTRE DANS UNE POSTURE DE QUÉMANDATION PERPÉTUELLE OU DE DÉPENDANCE MATÉRIELLE ÉTERNELLE.

 

 

  1. CONTEXTE DE CRISPATION IDENTITAIRE.

Qu’on parle du Québec, du Canada ou même de l’Union européenne. On voit de manière claire qu’il y a une glissade, une tendance lourde vers les groupes de droite et même de l’extrême droite. Ces groupes qui font l’apologie du resserrement des règles vis-à-vis des personnes migrantes qui criminalisent l’existence même des réfugiés, des personnes venant d’outre-mer et plus spécifiquement des africains, des personnes maghrébines, des personnes d’Amérique centrale où d’Amérique du Sud, sans oublier les Haïtiens et de manière plus large les ressortissants des Caraïbes.

 

Ces êtres humains en quête de dignité et de paix sont vus par plusieurs comme étant des problèmes, une menace, une atteinte même à la pureté de la race. Ces êtres humains sont perçus comme étant la source de tous les maux. Et ce discours malheureusement génère dans une certaine mesure un effritement des solidarités. Sur je ne peux pas le partager que ce soient les difficultés d’accès au service public la crise du logement au Québec.

 

Ce contexte défavorable affecte parfois l’établissement des priorités des syndicats en lien avec leurs différents dossiers. Avec des ressources financières et humaines limitées, quelle place accordée à cet enjeu parmi tous les autres dossiers ? Pensons notamment à la négociation collective, la santé et la sécurité au travail, les griefs et l’arbitrage de ceux-ci. Plusieurs de nos membres exercent d’ailleurs une pression persistante visant à renvoyer les syndicats à leur mission première sans oublier le patronat et le gouvernement qui dans un autre registre nous invite régulièrement « À nous mêler de nous affaires ». Il est de mon avis, que l’établissement d’un monde plus égalitaire est cependant l’affaire des syndicats.

 

La question reste cependant entière : quelle place accordée à la question de la solidarité internationale à travers toutes les autres priorités syndicales ? Il est primordial de saisir que les questions touchant au monde du travail et aux préoccupations visant l’atteinte d’un certain équilibre entre la force prolétaire et le patronat sont un ensemble et ne doivent pas être divisées notamment en opposant les hommes et les femmes travaillant dans les pays du Sud global et la force ouvrière du Nord.

Plusieurs syndicats effectuent un travail colossal en lien avec la solidarité internationale, pensons par exemple aux syndicats des Métallos, Unifor, au syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et au syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (STTP) pour ne nommer que ceux-là.

Le CISO qui est une organisation intersyndicale de solidarité internationale réunissant près de 80 syndicats à travers le Québec, regroupe des organisations syndicales québécoises, des groupes populaires et des membres individuels effectue à cet égard un travail exceptionnel qui mérite d’être souligné. Il faudra cependant élargir cette base militante si nous désirons faire entendre nos voix durablement au niveau de notre obligation morale et éthique en lien avec la solidarité internationale.

 

 

Marc-Édouard Joubert, président du Conseil régional FTQ Montréal métropolitain, le 13 juin 2024.