A-t-on besoin d’une force militaire aujourd’hui en Haïti? (décembre 2011)
Chaque mois, Marc‐Arthur Fils‐Aimé, directeur général de l’Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL) et partenaire de longue date du CISO, commente pour nous l’actualité de son pays.
Le président Martelly a fait du retour de l’armée l’un de ses chevaux de bataille lors de sa campagne électorale. Depuis son accession au pouvoir, il n’a jamais cessé de parler de la remobilisation des Forces Armées d’Haïti que l’ex-président Aristide avait mises hors d’état de nuire par leur dissolution en avril 1995. Actuellement, face à un tel débat quant au retour ou non de l’armée, deux principales tendances ont émergé avec chacune d’elles de grandes nuances. Il y a une tendance à dominante idéologique qui réclame le retour immédiat de l’armée car il s’agit pour elle de faire renaitre l’armée qu’ils apparentent à l’armée indigène qui, avec ses prouesses jamais égalées dans l’Histoire universelle, a forgé la nation haïtienne en janvier 1804. L’autre tendance à dominance politique s’est montrée très sceptique pour une telle résurgence pour le moment, soit de peur que le président ne crée une force à son service personnel, soit croyant inopportune la présence d’une force armée d’Haïti parce que le pays est confronté à d’autres besoins prioritaires. Alors, il serait mieux dans ce cas que le gouvernement s’investisse davantage dans des domaines sociaux.
À bien regarder, les deux tendances se rencontrent sur la nécessité de l’armée. C’est le moment ou encore les raisons qui les diffèrent. Mais de façon consciente ou non, leurs tenants trompent la population puisque les Forces Armées d’Haïti (cette dernière appellation leur a été attribuée par François Duvalier en 1957) ont été l’œuvre des occupants américains. Lors de leur première brutale intervention qui a duré 19 ans, soit de 1915 à 1934, ils ont procédé dès leur débarquement à un désarmement total de toutes nos concitoyennes et de tous nos concitoyens à travers tous les coins et recoins du pays et ont créé en 1916 la gendarmerie d’Haïti. On veut faire croire aussi que seule une force militaire serait capable de démanteler les gangs et d’arrêter l’insécurité. Leur courte mémoire d’origine volontaire ou involontaire leur fait oublier certains faits historiques. Les premières vagues d’insécurité ont apparu de septembre 1988 à mars 1990 sous la présidence de Prosper Avril, un ancien général des Forces Armées d’Haïti, d’une part et que, d’autre part, si nous restons seulement dans le sous-continent américain dans des pays comme le Mexique, le Brésil ou la République dominicaine, la présence d’énormes contingents de militaires n’empêche nullement l’insécurité ou même des déchainements de violence.
En réalité, la solution du problème ne réside ni dans le temps ni dans le nom, car les maux déjà causés par l’ancienne armée des occupants nord- américains par l’intermédiaire des soldats et des officiers haïtiens s’avèrent beaucoup plus profonds. L’armée se veut partout le reflet et le suppôt des classes dominantes. Elle est l’instrument répressif des classes régnantes malgré l’apparence de neutralité de ces dernières. Ce n’est pas l’autre nom que l’on va donner à la nouvelle force pour cacher les horreurs de sa sœur ainée, qui changera sa nature. L’annonce faite par le président Martelly le 18 novembre dernier à l’occasion de l’anniversaire de la Bataille de Vertières de 1803, qui a bouté hors d’Haïti (entendons de préférence Saint-Domingue de l’époque coloniale) l’armée française, confirme sa volonté de restructurer l’armée. Dans un certain élan de nationalisme, malgré la présence étrangère et non désirée par la grande majorité de la population de la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), il a prévu l’officialisation de cette armée le 1er janvier 2012 prochain, date de la déclaration urbi et orbi de l’Indépendance d’Haïti par nos Héros. La lutte semble cependant ouverte entre le gouvernement et certaines puissances étrangères qui ont affiché sans ambages leur hostilité envers une telle décision qui serait en principe de l’attribution souveraine du peuple et de son gouvernement. Pourtant, cette lutte ne concerne pas le peuple car d’un côté, c’est une armée au service du patronat et des grands propriétaires fonciers qui se dessine et en dernière instance, des tenants de la mondialisation et de la globalisation. Ce qui signifie que c’est une contradiction secondaire et conjoncturelle qui se trame entre deux faces d’une même médaille.
L’insécurité qui s’est répandue à travers le monde à l’ exception de quelques havres de paix, ne relève pas du hasard. Elle est intimement liée à la place occupée par l’argent au mépris de l’être humain. Son élimination dépend des résolutions politiques et idéologiques. Dans le cas qui nous concerne, à court terme, on peut la diminuer fortement avec une volonté politique, si on améliore l’actuelle institution policière en la dotant de meilleure formation et de meilleure condition de travail. Mais, seul un pouvoir issu du peuple et pour le peuple avec une force disposée et disponible à son service sera apte à dissoudre les cartels des bandes nuisibles à la société. Moins il y aura de marginaux, moins on comptera de cerveaux libres à concocter des mauvais sorts au détriment de leurs semblables.