En direct d'Haïti

Les petits propriétaires paysans haïtiens sont les premières victimes du changement climatique


Partout en Haïti, les rivières se dessèchent. C’est avec une grande désolation que nous constatons ce phénomène qui conduit le pays à la ruine. Il est vrai que ce dernier comptait un nombre imposant de rivières, de fleuves sans compter les ruisseaux, qui allaient tous se jeter tranquillement à la mer sans être utilisés à bon escient, soit pour l’agriculture ou l’hydro-électricité. Aujourd’hui, seul leur lit nous indique que l’eau serpentait dans un grand nombre de ces endroits. Mais la clémence de la nature suppléait à cette insouciance de tous nos dirigeants passés au moins quant à ce qui regardait l’agriculture grâce à une abondante pluviométrie. Aujourd’hui, les données ont changé. Non seulement la pluie devient plus rare et ce qui est plus grave, c’est que les saisons sont modifiées. Elle arrive quand les paysans ne l’attendent pas et se fait rare au moment où ils sont habitués à bénéficier de ses bienfaits.


La situation que nous vivons aujourd’hui a ses racines profondément enfouies dans l’histoire nationale si nous nous contentons de circonscrire notre analyse dans le contexte haïtien. En 1492, des aventuriers espagnols de tous les mauvais acabits sous le commandement de Christophe Colomb, furent d’abord impressionnés par la luxuriante couverture végétale de l’île d’Haïti avant même de découvrir la richesse de notre sous-sol. Ils la surnommaient Hispaniola ou petite Espagne. La déforestation sauvage qui a débuté dès le début du 16e par les Européens n’a jamais cessé pour en arriver à connaître de grandes saignées industrielles avec la première occupation américaine en juillet 1915. Des milliers d’agriculteurs ont été chassés de leur patelin au profit de grandes compagnies agro-industrielles de l’insatiable voisin du Nord. L’exemple de la Société haïtiano-américaine de développement agricole (SHADA) vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale demeure emblématique. Lisons ce passage du dernier ouvrage de Mme Gilbert pour nous en bâtir une idée :

Et le bois de construction se fait rare sur le marché local en dépit de la coupe accélérée; les commerçants haïtiens se plaignent “Que fait la SHADA  de notre bois de construction? Notre pin servirait-il à produire de l’huile essentielle pour l’aviation américaine? En tout cas, la division forestière avait produit pour l’année 1944, 3 millions 262 767 pieds de pins. Si le marché haïtien souffrait d’un manque de bois de construction malgré un tel rendement, c’est que l’essentiel de cette production était exporté.” [1]

Les Américains ont continué leurs néfastes activités jusqu’à environ 1960 où ils ont acheté à des prix très bas les bois de campêche pour leur usine de teinture. Si les paysans haïtiens, la peine au cœur, coupent encore aujourd’hui ce qu’il reste des arbres fruitiers pour en faire du charbon, c’est pour répondre à des besoins urgents pour la survie de leur famille. D’ailleurs, le charbon de bois reste, à cause d’une mauvaise politique en matière énergétique de tous les gouvernements haïtiens, la seule alternative de la grande majorité de la population haïtienne.

Le changement climatique qui est intimement lié au développement débridé du capitalisme n’affecte pas seulement les paysans haïtiens, même s’ils en subissent des conséquences plus désolantes que ceux d’autres continents pour de multiples raisons.

  • La grande majorité des cultivateurs haïtiens vivent sous des parcelles infimes, parfois coincées au flanc de mornes inaptes, à cause de leur déclivité, à l’agriculture.
  • Le marché national qui sous la férule du Fonds Monétaire International est soumis au principe néolibéral est ouvert à la concurrence déloyale des puissances comme les États unis qui étouffent la production agricole au point que nous importons des produits comme le riz, le sucre que naguère nous exportions. Le mea culpa de l’ancien président Bill Clintondevant le déclin de nos régions rizicoles n’a en rien modifié les agissements de nos donneurs d’ordre internationaux dont fait partie aussi le gouvernement américain.

Les masses paysannes sont en train de vivre un processus de dégradation alarmante. Elles sont prises dans les mailles d’un cycle d’appauvrissement infernal. Plus, elles sont coincées, plus celles qui ne peuvent pas migrer ou émigrer pour de diverses raisons surtout par conscience politique, continueront à massacrer le sol. Ce qui rend ce dernier moins résistant aux cyclones et aux autres perturbations atmosphériques. La solution ne peut pas être individuelle. Elle dépend en grande partie d’un pouvoir de nature populaire où les revendications nationales primeront sur les ambitions personnelles et celles desdits pays amis.


Marc-Arthur Fils-Aimé

24 mars 2013


[1]Myrtha Gilbert : SHADA (société haïtiano-américaine de développement agricole) Chronique d’une extravagante escroquerie. L imprimeur.P.147-148